Revitalisation de l’espace public sous-utilisé en milieu urbain
La transformation des lieux publics non valorisés peut servir à éveiller les consciences aux questions de durabilité, selon une professeure de l’Université Concordia
Les citadins traversent l’espace public jour après jour sans vraiment y porter attention. Qu’il s’agisse d’arrêts d’autobus, de trottoirs, de passages inférieurs ou de parcs, ces endroits très fréquentés ont tendance à se fondre dans le décor quotidien.
Et si l’espace public non valorisé était transformé en lieux invitants et utiles qui favorisent l’adoption d’un mode de vie plus durable?
Carmela Cucuzzella, professeure agrégée au Département de design et d’arts numériques de l’Université Concordia, se passionne pour le potentiel inexploité de l’espace public.
« Je m’intéresse à l’espace public non valorisé, car il est omniprésent en ville, mais passe inaperçu. Une fois revitalisé, même par des travaux mineurs, il attire l’attention des passants, qui ont alors envie d’interagir avec leur environnement », explique la titulaire de la chaire de recherche de Concordia en conception intégrée, écologie et durabilité du milieu bâti (IDEAS-BE). Son domaine d’intérêt particulier est la mise à profit de l’espace public pour éveiller les consciences aux questions de durabilité et améliorer les habitudes des usagers.
GRACIEUSETÉ DE CÉSAR CRUZ-MERINO ET CARLOS CRUZ-MERINO
« Nous sommes bombardés d’information au sujet des changements climatiques et des habitudes durables, mais les collectivités mettent beaucoup de temps à instaurer de véritables solutions, déplore la professeure Cucuzzella. J’explore la possibilité de concevoir des installations publiques qui sensibilisent les gens aux enjeux climatiques et à la durabilité. »
Pour revitaliser l’espace, on peut employer des aménagements à faible caractère technologique, comme des jardins communautaires, ou encore des éléments plus axés sur la technologie, comme des applications qui gèrent des projections ou permettent aux gens de jouer à des jeux virtuels, poursuit Carmela Cucuzzella.
La chercheuse cite un exemple tout simple, celui de donner une nouvelle vocation à un mur situé à une intersection achalandée. Une image projetée sur le mur pourrait changer de couleur pendant la journée, passant du vert au rouge en fonction de la densité de la circulation et de la concentration de monoxyde de carbone. Une installation « écodidactique » de ce type communique un message et incite à l’action.
« Une installation du genre peut au moins aider les passants à prendre conscience de l’effet concret de la circulation et de l’usage de l’automobile sur la qualité de l’air, avance-t-elle. Mieux informés, ils deviennent plus enclins à changer leurs habitudes, à utiliser le transport en commun ou à trouver d’autres moyens de se déplacer en ville. »
Pour encourager cette façon novatrice de penser, Carmela Cucuzzella organise des concours de design qui invitent les étudiants à proposer des idées pour aider les citadins à s’approprier des espaces sous-utilisés. Un concours international tenu récemment, organisé en collaboration avec le Centre d’études sur les bâtiments à consommation énergétique nulle de l’Université Concordia, portait sur l’utilisation amusante et stimulante de l’énergie solaire aux arrêts d’autobus.
« Nous avons demandé à de jeunes concepteurs de partout dans le monde comment ils utiliseraient l’énergie solaire de façon utile et divertissante pour illustrer l’importance de cette forme d’énergie propre, raconte la professeure Cucuzzella. Nous avons reçu beaucoup d’idées, certaines toute simples, comme utiliser l’énergie solaire pour alimenter de petits appareils mobiles, d’autres plus ambitieuses, comme illuminer l’abribus le soir venu pour assurer la sécurité des usagers. »
Peter Soland est concepteur d’urbanisme au sein de la firme montréalaise CIVILITI. Tout comme Carmela Cucuzzella, il juge bénéfique de repenser la vocation des espaces urbains non conventionnels.
« J’observe une nouvelle génération de citadins qui affectionnent les lieux inusités, affirme M. Soland. Ils aiment se trouver sur ou sous des éléments d’infrastructure, ou encore le long de voies ferrées. Ils sont attirés par ces endroits qui ne font pas partie de ce que l’on considère généralement comme l’espace public. »
Les concepteurs créaient autrefois des places publiques aux « surfaces dures, minéralisées », qui devaient pouvoir accueillir la plus grande foule possible, souligne Peter Soland. Or, les temps ont changé, et les gens sont aujourd’hui à la recherche d’espaces verts en ville. Dans le cadre d’un projet récent, la firme de M. Soland a conçu un bassin de biorétention qui sert à ralentir le débit des eaux de ruissellement et à les traiter le long du canal Lachine à Montréal.
« C’est une infrastructure verte qui attire la population vers un élément de paysage, explique-t-il. Il ne s’agit pas d’un environnement fonctionnel, mais il joue un rôle écologique au sein de la ville. »
Peter Soland souligne les initiatives d’« urbanisme tactique » qui ont cours un peu partout à Montréal. L’idée consiste à apporter des changements temporaires et peu coûteux à l’espace public pour améliorer la vie de quartier et favoriser l’esprit communautaire. La Ville de Montréal a lancé un programme qui permet aux arrondissements et aux quartiers de cibler des rues auxquelles ils souhaitent donner une vocation piétonnière, poursuit M. Soland. Après avoir mis en place pendant deux ans des installations éphémères composées de meubles et de plantes, les groupes communautaires deviennent admissibles à des subventions pour transformer la rue de façon permanente.
« Il doit y avoir une dizaine de projets de fermeture complète ou presque complète à la circulation automobile en cours à Montréal », estime Peter Soland.
Selon Carmela Cucuzzella, les villes se montrent de plus en plus ouvertes à ce genre de projets novateurs. Elle cite en exemple le projet CityStudio de Vancouver, un centre d’innovation qui permet aux professeurs et aux étudiants de l’Université Simon Fraser de tisser des liens avec des employés de la Ville et des membres de la collectivité pour les aider à concrétiser plus rapidement et efficacement des projets de design expérimental. La professeure Cucuzzella ajoute que Concordia travaille à implanter le modèle CityStudio à Montréal.
La chercheuse se consacre également à un projet de « mobilité multimodale » dans le cadre d’une subvention fédérale de développement de partenariat en collaboration avec la Ville de Montréal et des organismes sans but lucratif de la métropole. Le projet permettra d’étudier l’utilisation de l’espace public pour encourager les Montréalais à diversifier leurs modes de transport.
« Grâce à la mobilité multimodale, même si vous ne pouvez pas abandonner complètement votre voiture, il existe de nombreuses façons de rendre vos déplacements plus efficaces et durables. Par exemple, vous pouvez rouler jusqu’à la gare, prendre le train jusqu’au centre-ville, puis utiliser un service de vélo en partage comme BIXI ou marcher jusqu’à votre destination », explique-t-elle.
Pour encourager la mobilité multimodale, les auteurs du projet aménageront des installations dans l’espace public. Le but : à tout le moins, faire connaître aux gens les nombreuses options qui s’offrent à eux, mais idéalement aussi leur donner des moyens concrets de changer leurs habitudes.
Carmela Cucuzzella espère que ces initiatives auront pour effet de modifier l’aspect des villes du futur.
« L’espace public présente un grand potentiel, à l’intersection du savoir sur la durabilité et de l’action communautaire. J’aimerais que les villes deviennent des lieux accueillants pour les gens plutôt que pour les voitures. Plus nous nous approcherons de cet idéal, plus nos villes seront des milieux de vie durables », conclut-elle.