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Derrière les apparences

Le racisme systémique est un fléau insidieux
13 juillet 2021
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Par James Roach


Le racisme systémique et les moyens de l’éradiquer sont au cœur d’une récente action de sensibilisation à Concordia.

Menée collectivement par divers acteurs de l’Université, allant des responsables du plan d’action des directions autochtones au groupe de travail du recteur sur le racisme contre les Noirs, cette action s’inscrit dans un vaste mouvement mondial pour l’équité économique et sociale pour les personnes marginalisées.

Vicky Boldo est membre du conseil directeur sur les directions autochtones de Concordia ainsi que travailleuse culturelle de soutien au Centre étudiant Otsenhákta, qui vient en aide aux étudiantes et étudiants des Premières Nations ainsi qu’inuits et métis (otsenhákta signifie « près du feu’ en kanien’kéha, une langue iroquoise).

Alors qu’elle n’avait que six mois, Mme Boldo a été victime du programme gouvernemental qualifié depuis de rafle des années 1960, qui consistait à arracher les enfants autochtones à leurs familles et collectivités en vue de leur adoption par des couples non autochtones.

Cela reste un des chapitres les plus douloureux et honteux de l’histoire du pays.

Vicky Boldo

« Le fait que tant de gens aient été violentés, traumatisés et privés de leurs terres, de leur culture et de leur langue par des lois génocidaires, assimilatrices et autres est totalement immonde », affirme Mme Boldo.

À l’époque du placement de Mme Boldo, les travailleurs sociaux chargés de veiller à son bien-être n’ont pas hésité à inscrire dans son dossier des mentions répugnantes. Exemples : « Vicky est une enfant très jolie, malgré ses traits plutôt indiens. »

« Nous observons avec intérêt la transformation de Vicky, mais elle a toujours les cheveux très noirs et les yeux sombres. » « Sa peau évolue vers une carnation blanc rosé. »

Quand Mme Boldo a eu accès à ses dossiers d’adoption à l’âge adulte, ce qu’elle y a découvert l’a choquée et rendue furieuse.

Elle est aujourd’hui convaincue qu’un changement radical s’impose pour offrir aux peuples autochtones réparation et justice. Cela dit, bien qu’elle affirme que son travail d’éducatrice culturelle contribue à sa guérison, elle est très sceptique et a peu confiance dans les politiciens pour changer les choses.

« J’ai rencontré au fil des ans un grand nombre de personnes des secteurs des services sociaux, des soins de santé, du maintien de l’ordre, de la justice et de l’éducation travaillant auprès des communautés autochtones, raconte Mme Boldo. Or, très peu d’entre elles osent admettre leurs erreurs et leur racisme. »

« Nous devons nous attaquer au système de valeurs actuel »

Angélique Willkie

Selon Angélique Willkie, membre du corps professoral du Département de danse contemporaine de Concordia et coprésidente du groupe de travail du recteur sur le racisme contre les Noirs, le racisme systémique puise ses racines dans le colonialisme.

Créé en 2020, le groupe de travail a pour mandat de superviser la lutte contre le racisme envers les Noirs à Concordia afin de rendre celle-ci plus diversifiée et accueillante ainsi que de renforcer ses liens avec la collectivité.

C’est un vaste mandat, dont la poursuite pose d’énormes défis. Comme le souligne Mme Willkie, les structures eurocentriques exploitées à l’origine pour justifier la réduction des Noirs en esclavage n’ont pas disparu; elles ont simplement évolué.

« Nous devons admettre que notre condition actuelle est la conséquence d’un processus historique basé sur un certain système de valeurs, affirme Mme Willkie.

Pour générer un vrai changement, nous devons nous attaquer à ce système. Nous devons sans cesse remettre en question nos perceptions les uns des autres et nos manières de fonctionner ensemble afin de créer un espace pour les autres histoires existantes au sein de nos institutions. »

De même, l’histoire récente des peuples autochtones qui habitaient l’Île de la Tortue, à savoir l’Amérique du Nord, depuis des millénaires avant l’arrivée des colons est fréquemment interprétée sur la base de doctrines racistes visant à justifier le génocide culturel et la prise de contrôle violente qui se sont produits.

Manon Tremblay, B.A. 2003

Manon Tremblay, B.A. 2003, directrice principale des directions autochtones de Concordia et présidente du conseil directeur sur les directions autochtones, explique que le racisme systémique est insidieux et lié à un système de castes.

« Le racisme systémique est ancré au sein même des institutions qui sont les fondements de notre société, affirme Mme Tremblay. Et il repose sur une croyance coloniale de supériorité raciale, religieuse et linguistique qui favorise les idéaux des gens au pouvoir et empêche à dessein les autres d’accéder aux mêmes droits et privilèges en raison de leur race. »

Mme Boldo se montre d’accord avec Mme Tremblay. « Le racisme systémique, dit-elle, est présent dans les lois, les politiques, les systèmes, les processus, les règles et les règlements, officiels et officieux, mis en place par les décideurs pour protéger leur statut social et politique. »

« Des générations privées de leurs richesses »

Les meurtres de George Floyd, Breonna Taylor et Ahmaud Arbery – pour ne nommer que quelques-unes des récentes victimes de la violence raciste aux États-Unis –, ceux de Jamal Francique, Nicholas Gibbs, Anthony Griffin, Andrew Loku et Sheffield Matthews au Canada, ainsi que les excès observés dans les deux pays en matière de surveillance policière et d’incarcération ont montré à quel point les Noirs sont perçus par certains comme des êtres jetables, menaçants et criminels.

Ce type de perception déformée engendre de multiples conséquences, dont font partie le traitement brutal des enfants autochtones au sein des pensionnats canadiens, les traumatismes qui en ont découlé, le grand nombre de disparitions et de meurtres de femmes et de jeunes filles autochtones, ainsi que le manque d’accès à l’eau potable, à une alimentation à prix abordable ainsi qu’à des hébergements et à des soins de santé adéquats dans certaines réserves.

Les réalités et le racisme systémique auxquels se heurtent les Autochtones ne doivent pas être confondus avec l’expérience du peuple noir, bien que le gouvernement canadien ait délogé les Autochtones de leurs territoires ancestraux en les déplaçant, en les affamant et en déployant des tactiques génocidaires. Cela dit, il existe certains points communs entre les deux communautés, dont un taux d’incarcération supérieur à la moyenne.

Jason Lewis

Jason Lewis, professeur au Département de design et d’arts numériques de Concordia et membre du conseil directeur sur les directions autochtones, explique qu’au fil du temps, la marginalisation des personnes racialisées et la limitation des possibilités dont elles bénéficient peuvent avoir des conséquences déplorables qui sont ensuite exploitées pour justifier des pratiques discriminatoires de la part des gouvernements et des établissements d’enseignement ainsi que sur les plans légal et judiciaire.

« Le problème, affirme M. Lewis, c’est que le racisme systémique est insidieux. Il est très difficile à déceler, souvent parce qu’il est larvé au sein de politiques, de procédures et de directives formelles et informelles, ainsi qu’au sein de lois et de codes dont l’intention originale est masquée, intentionnellement ou par l’histoire. »

Toujours selon M. Lewis, avec le temps, le racisme systémique accentue les disparités existantes et en engendre de nouvelles. « Le racisme systémique est souvent présenté comme un fait, dit-il. Les gens affirment par exemple que c’est un fait que les Autochtones affichent des taux de criminalité supérieurs à la moyenne, qu’il suffit de consulter les données du système pénal pour s’en convaincre. »

M. Lewis poursuit : « Historiquement, les peuples autochtones ont vu leurs activités culturelles et politiques fondamentales criminalisées de façon que n’a pas connu la population coloniale blanche. »

Dans un rapport publié en 2020, l’enquêteur correctionnel du Canada, Ivan Zinger, soulignait que bien que les Autochtones ne représentent que cinq pour cent de la population canadienne, le nombre de détenus autochtones s’est accru de 43,4 pour cent depuis avril 2020, pendant que celui des détenus non autochtones chutait de 13,7 pour cent au cours de la même période.

M. Zinger soulignait de plus dans son rapport que les chiffres sont encore plus troublants en ce qui concerne les femmes autochtones, qui représentent actuellement 42 pour cent des détenues au Canada.

« L’existence d’un racisme systémique dans les établissements correctionnels fédéraux ne fait à mes yeux aucun doute », affirmait M. Zinger en 2020 dans une entrevue au Globe and Mail.

« Les Autochtones sont susceptibles d’être plus surveillés, interpellés, arrêtés et condamnés que les membres de la population blanche, affirme M. Lewis. Les Autochtones ont été privés de richesses amassées au fil de milliers de générations et ont été parqués sur des territoires trop exigus, trop éloignés ou trop pauvres en ressources pour leur permettre de s’en sortir sans aide gouvernementale.

« La situation actuelle est la conséquence d’une longue série de décisions historiques visant à lentement désavantager les Autochtones et à engendrer des conséquences que l’on reproche pourtant aux Autochtones eux-mêmes. »

Les dangers du déni

Mme Willkie déplore que le gouvernement du Québec affirme qu’il n’existe pas de racisme systémique dans la province et que seule une minorité de la population québécoise est raciste.

« Compte tenu de l’héritage des structures qui ont soutenu l’esclavage et son abolition, il existe peut-être une minorité de la population qui est en effet raciste, avance Mme Willkie. Il existe incontestablement au sein de nos institutions un système d’exclusion et de privilèges attribuable à cet héritage, qui engendre aujourd’hui des conséquences endémiques pour les communautés noires. »

Selon Mme Tremblay, la négation de l’existence d’un racisme systémique par les autorités gouvernementales a deux conséquences troublantes.

« Premièrement, cela donne au gouvernement une excellente excuse pour ne pas s’attaquer au racisme systémique, profondément ancré, dénonce-t-elle. Deuxièmement, cela permet à certaines personnes et organisations de continuer à faire preuve de comportements racistes et à soutenir les politiques et systèmes racistes, car elles ont l’impression que le gouvernement approuve leurs pratiques. »

Selon M. Lewis, en niant l’existence d’un racisme systémique, « le gouvernement du Québec décourage la déconstruction critique du passé problématique de la province en matière de relations interraciales, ainsi que toute stratégie visant à contrer le racisme envers les groupes discriminés. Ce déni du gouvernement encourage aussi les racistes à persister dans leurs convictions – comme on a pu le voir au Québec, ailleurs au Canada et aux États-Unis –, et à les défendre violemment. »

Mme Tremblay juge également raciste le fait de nier l’existence du racisme pour préserver les visions et les structures coloniales. Selon elle, il faut que les organisations analysent en profondeur leurs politiques et leurs systèmes afin de déterminer s’ils constituent ou non des obstacles pour les personnes racialisées.

« Les organisations doivent réfléchir à des solutions équitables et à des moyens de provoquer des changements positifs, en étroite collaboration avec les gens qui se heurtent à des obstacles en raison de leur race, affirme Mme Tremblay. Il faut que les gens réfléchissent à leurs convictions ainsi qu’à leurs comportements et réactions à l’endroit des personnes aux origines raciales différentes des leurs. Ils doivent s’éduquer et accepter les différences plutôt que les rejeter. »

Mme Tremblay maintient que le racisme systémique empêche de s’attaquer aux structures internes qui favorisent la discrimination et conduisent à rejeter le blâme sur les individus ainsi qu’à qualifier les actes de racisme flagrants d’incidents isolés.

« Un geste symbolique, pas un changement de cap »

Jacqueline Peters, B.A. 2008

Selon Jacqueline Peters, B.A. 2008, professeure au Département d’études anciennes, de langues modernes et de linguistiques de Concordia et membre du groupe de travail du recteur sur le racisme contre les Noirs, un autre problème tient au fait que nombre d’établissements ne recueillent et ne partagent pas de données raciales désagrégées dans le but de comprendre le racisme systémique et de le contrer.

Mme Peters précise que nombre de dirigeants ostensiblement intéressés par la lutte contre le racisme ont déjà déterminé la forme que doit prendre ce combat, « mais leur vision diffère de la nôtre ». L’embauche ou la promotion d’une personne racialisée est ainsi souvent présentée comme une victoire contre le racisme institutionnel.

« Le fait de convier une ou deux personnes racialisées à sa table n’est qu’un premier pas vers l’inclusion, affirme Mme Peters. Ce n’est qu’un geste symbolique, pas un changement de cap vers l’équité. »

« L’équité, la diversité et l’inclusion passent par l’égalité de toutes et tous. Pour y parvenir, il faut réfléchir à de nouvelles manières d’être et de penser. Il faut écouter les personnes dont l’apparence ou la manière de penser diffère de celles que l’on convie normalement à sa table. Le fait d’intégrer une femme blanche à une équipe majoritairement constituée d’hommes blancs ne contribue pas vraiment à la diversité. »

Vicky Boldo constate le peu de volonté politique visant à remédier au tort causé aux Autochtones pendant des siècles. Elle souligne entre autres que la Loi canadienne sur les Indiens, discriminatoire, est toujours bien en place.

Mme Boldo souligne aussi que le dernier pensionnat, que rien ne distinguait selon elle d’un camp d’internement pour enfants, n’a fermé ses portes qu’en 1996, et que les commissions et rapports nationaux et provinciaux n’ont cessé de se succéder.

Elle cite entre autres la Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation ainsi que, plus récemment, le Rapport de la commission Viens et le rapport final publié à la suite de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

« Et en mai dernier, ajoute Mme Boldo, on a eu droit au rapport de 550 pages de la commission Laurent, qui documentait la négligence, l’absence d’équité et le racisme systémique dont le Québec a fait preuve en matière de protection de la jeunesse. »

Mme Boldo a été nommée en novembre 2020 membre du conseil d’administration permanent de la National Sixties Scoop Healing Foundation.

Elle déplore que les commissions et les rapports fassent porter le fardeau aux personnes opprimées elles-mêmes. Ils contraignent en effet les victimes à témoigner et à raconter leurs traumatismes, plutôt que de forcer les personnes et les systèmes responsables de ces traumatismes à rendre des comptes.

« Les suites données aux rapports publiés par les gens au pouvoir sont insatisfaisantes. Ces gens se concentrent sur les traumatismes rapportés plutôt que sur la violence systémique à l’origine de ceux-ci. »

Selon Mme Peters, les gens au pouvoir attendent des personnes racialisées qu’elles portent seules le fardeau émotionnel qui est le leur. Plutôt que d’œuvrer à la guérison de ces personnes, ils estiment que c’est à elles de se guérir.

« En plus d’avoir été traumatisées, les victimes se voient demander de remédier aux dommages qu’elles ont subis, déplore Mme Peters. C’est souvent un moyen d’occuper les personnes racialisées à cette tâche dans l’espoir qu’elles n’étalent pas leurs griefs sur la place publique, dans l’espoir qu’elles se lassent ou qu’elles échouent dans leurs revendications. Alors, nous pourrons tous aller de l’avant, dans un retour tranquille au statu quo. »

Mme Peters ajoute que lorsqu’une personne dénonce trop fort le racisme, elle risque de devenir une cible.

Tout en n’espérant guère d’améliorations sensibles de son vivant, Mme Peters dit travailler avant tout pour les futures générations d’étudiants, de membres du personnel et de professeurs. Elle espère qu’on assistera à une large admission de la nécessité d’un changement et que les acteurs institutionnels veilleront à ce qu’il concrétise non seulement au profit des personnes racialisées, mais de la société tout entière.

« Les préjugés sont issus du colonialisme »

Pour Mme Boldo, M. Lewis et Mme Tremblay, il est important d’analyser, d’étudier, de comprendre et d’appliquer à Concordia le plan d’action des directions autochtones au sein de la totalité des disciplines et départements.

M. Lewis maintient qu’il est essentiel que tous prennent le temps de comprendre l’histoire des organisations et des établissements auxquels ils sont affiliés. Il encourage les gens à adopter une approche critique.

« Tout processus humain présenté comme un fait doit être déconstruit. Qui sont ceux qui prétendent qu’il s’agit d’un fait? Qu’ont-ils à y gagner? Qui s’emploie le plus aujourd’hui à présenter ce processus comme un fait? Et surtout, qui est le plus désavantagé par cela? »

Selon les responsables du plan d’action des directions autochtones, il est également essentiel de forger des liens solides avec la nation kanien’kehá:ka (mohawk) locale. Les visions des choses et les savoirs autochtones doivent être respectés, défendus et enseignés.

Pour Mmes Willkie et Peters, ainsi que pour leurs collègues du groupe de travail parmi lesquelles la présidente de celui-ci, Annick Maugile Flavien, B.A. 2013, dip. 2e cycle 2015, M.A. 2018, la lutte contre le racisme systémique à l’échelle de Concordia se poursuit, que ce soit en matière de politiques, d’enseignement, de pratiques d’apprentissage, ou encore en ce qui concerne l’expérience des professeurs, des membres du personnel et des étudiants.

« Il s’agit essentiellement de mettre en lumière, chaque fois que c’est possible, les préjugés dont Concordia fait preuve envers ses professeurs, membres du personnel et étudiants noirs », explique Mme Willkie, dont la tâche dans le cadre du groupe de travail consiste entre autres à contribuer à la préparation d’ici avril 2022 d’un rapport final assorti de recommandations.

« Ces préjugés ne sont pas le fait d’individus, mais sont issus du colonialisme et doivent absolument être bousculés pour que Concordia puisse se montrer digne de ses aspirations en matière d’égalité, de diversité, d’équité, de décolonisation et de justice sociale. »



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