Déterminé à changer les choses
Fils d’un policier d’origine irlandaise et d’une enseignante québécoise, James O’Reilly est né et a grandi à Montréal. C’est en se liant d’amitié avec ses coéquipiers mohawks au hockey junior qu’il entre en contact pour la première fois avec les peuples autochtones. Plus tard, durant ses études, il passe plusieurs étés à travailler pour une compagnie d’exploration près de Schefferville, dans le nord-est du Québec. Il n’oublie jamais les conditions de vie désastreuses dont il est témoin au sein de la communauté innue.
« Cette réalité m’a frappé, raconte M. O’Reilly. Plus tard, quand j’en ai eu la possibilité, j’ai décidé que je devais faire quelque chose pour eux, ou avec eux. »
L’occasion se présente à lui lorsqu’il entame sa carrière au cabinet Martineau Walker – devenu plus tard Fasken Martineau –, où il fait ses premières armes en droit successoral et immobilier. À ce jour, il n’a jamais su qui l’a recommandé à Andrew Delisle, ancien chef mohawk de Kahnawake, alors à la recherche d’un avocat pour une affaire d’expropriation de la voie maritime du Saint-Laurent et dont il reçoit un appel tout à fait inattendu.
C’était les années 1960, époque où le militantisme autochtone pour la reconnaissance des droits ancestraux n’en était qu’à ses débuts. James O’Reilly allait devenir un fidèle collaborateur de M. Delisle, membre fondateur du Conseil national des Indiens et de l’Association des Indiens du Québec. Alors qu’ils font la tournée des communautés pour dresser la liste de leurs revendications, le jeune avocat se familiarise avec le droit autochtone, ce que peu de ses pairs avaient fait jusque-là.
Voyant qu’il possède là une rare expertise, James O’Reilly résout de s’impliquer dans le mouvement de protestation contre le projet de barrages hydroélectriques que le gouvernement du Québec entend construire dans la région de la baie James. Les communautés cries et inuites, qui n’ont pas été consultées à propos de cette entreprise colossale, craignent que celle-ci entraîne la dégradation de leur environnement et compromette leur survie. En 1972, M. O’Reilly quitte le cabinet Martineau Walker – qui défend alors la Société de développement de la Baie-James –, prend l’affaire en charge et cofonde son propre cabinet.
« Je ne pouvais pas faire autrement, confie-t-il à propos de cette décision qui a changé sa vie. Je n’aurais pas pu vivre en paix avec moi-même si je n’avais pas essayé. »
Les contestations judiciaires, ponctuées par une courte victoire ayant permis l’interruption temporaire du projet, sont houleuses et suivies de négociations tendues. Toutefois, le traité fondateur qui en découle, connu sous le nom de Convention de la Baie James et du Nord québécois, officialise la reconnaissance des droits spécifiques des communautés vivant sur ce territoire et ouvre la voie à d’autres pactes.
Par la suite, M. O’Reilly travaille en collaboration avec les Premières Nations depuis Terre-Neuve jusqu’à l’Alberta, où il s’élève contre le gouvernement fédéral dans des conflits liés au pétrole et au gaz. À titre de représentant de la Nation mohawk, il devient également l’une des voix de la crise d’Oka en 1990.
M. O’Reilly, qui garde un souvenir ému de l’époque où il jouait dans l’équipe de hockey de Loyola College, a récolté de nombreux honneurs au cours de sa carrière, notamment de la part de la Nation crie de Samson, en Alberta, qui l’a nommé chef honoraire. Lorsqu’il a appris sa nomination à l’Ordre du Canada, il y a trois ans, il a eu un moment de doute.
« Je me suis opposé au Canada toute ma vie. Suis-je en train de trahir mes principes? » expose-t-il.
Les chefs cris qu’il a consultés l’ont aidé à trouver la réponse. « Ils ont dit : "C’est l’ennemi, mais cet ennemi nous respecte, alors pourquoi pas?" Donc j’ai accepté ».