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Cerveau et cognition

Face à l’augmentation des cas de démence, de nouvelles recherches sur le cerveau offrent l’espoir grâce à la détection précoce.
23 avril 2024
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Par Jordan Whitehouse


An abstract representation of a profile with an orange circular motif with black squiggles representing the brain

La mémoire, la résolution de problèmes, la pensée et le langage figurent parmi les fonctions clés d’un cerveau en santé et sont essentiels à la vie au quotidien. Or, avec l’âge, un déclin de l’une ou l’autre de ces capacités cognitives peut signaler le début d’une démence, ce qui souligne leur importance en tant que premiers signes indicateurs.

Selon la Société Alzheimer du Canada (SAC), au début de cette année, il y avait au Canada quelque 733 040 personnes qui vivaient avec la démence. Selon les estimations, d’ici 2030, ce nombre pourrait atteindre 1 million à l’échelle nationale.

Un nombre croissant de recherches, y compris des études menées par des membres des corps professoraux et étudiants de l’Université Concordia, soulignent l’importance de la détection précoce pour déterminer des interventions efficaces visant à ralentir la progression de la maladie. La SAC signale qu’en retardant l’apparition de la démence ne serait-ce que d’un an, on pourrait éviter près de 500 000 cas au Canada d’ici 2050.

« Dans une maladie comme l’Alzheimer, soit le type de démence le plus courant, nous savons maintenant que des changements commencent à se produire dans le cerveau jusqu’à 20 ans avant le diagnostic, explique Stéfanie Tremblay, B. Sc. 2016, M. Sc. 2019, candidate au doctorat en physique médicale et chercheuse engagée de Concordia pour 2023. Cette donnée nous donne un intervalle de temps pendant lequel nous devrions être en mesure de détecter ces processus pathologiques. »

Pourtant, une étude publiée en 2016 dans le British Medical Journal révèle que la démence demeure non détectée chez plus de 60 % de la population mondiale. Pourquoi?

Les principaux facteurs sont les convictions concernant les déficits cognitifs dits « normaux » chez les personnes âgées et le manque de connaissance des symptômes et des critères de diagnostic de la démence au sein de la profession médicale.

La bonne nouvelle, c’est que ces lacunes sur le plan des connaissances sont en baisse, affirment des experts comme Mme Tremblay, grâce à l’essor de la recherche sur la démence dans le monde entier, en réponse au vieillissement de la population.

L’École de la santé de Concordia est un épicentre de ces efforts au Canada, où des chercheuses et chercheurs de toutes disciplines affiliés entre autres au Centre de recherche sur le vieillissement et au Centre de recherche sur le développement humain de l’Université sont à l’avant-garde des travaux sur le cerveau vieillissant.

Par exemple, des physiciens utilisent l’IRM et d’autres outils d’imagerie pour fouiller les profondeurs du cerveau à la recherche de marqueurs précoces de la neurodégénérescence. Des experts en psychologie tentent quant à eux de répondre à toute une série de questions, comme celle de savoir pourquoi les pertes sensorielles semblent augmenter la probabilité d’apparition de la démence chez une personne donnée. Et puis, il y a des chercheurs en mathématiques, en génie et en sciences de la santé qui tentent de prévenir et de traiter la démence en outillant les médecins avec les derniers outils de pointe. 

Nos cerveaux vieillissants

Une personne aux cheveux ondulés et portant des lunettes à motifs, souriant chaleureusement dans un cadre intérieur. « Le principal conseil à suivre en vieillissant est de rester actif, tant sur le plan physique que cognitif, et de trouver des activités qui vous motivent afin de réduire vos facteurs de risque cardiovasculaire. » — Natalie Phillips

La démence n’est pas une maladie particulière. Il s’agit plutôt d’un terme utilisé pour décrire un ensemble de symptômes causés par des troubles du cerveau. S’il est vrai que la maladie d’Alzheimer constitue la forme la plus courante de démence, il faut savoir qu’il en existe d’autres, notamment la démence vasculaire, la maladie de Creutzfeldt-Jakob et la démence à corps de Lewy.

Les pertes de mémoire, que ce soit à court ou à long terme, sont les principaux symptômes de la démence, mais près de 40 % des personnes âgées de plus de 65 ans présentent une perte de mémoire légère d’une forme ou d’une autre sans pour autant être atteintes de démence, ce qui indique qu’il ne s’agit pas là du seul symptôme. Parmi les autres signes, mentionnons les changements d’humeur ou de comportement et les difficultés de réflexion, de résolution de problèmes ou de langage qui minent la capacité de la personne à mener des activités de tous les jours.

Selon Natalie Phillips, professeure au département de psychologie et titulaire de la chaire de recherche de Concordia sur la santé sensorielle et cognitive, le vieillissement et la démence, il existe une foule de raisons pour lesquelles la plupart des personnes atteintes de démence ont plus de 65 ans.

« Il pourrait s’agir d’années de changements vasculaires subtils ou de processus inflammatoires dans le cerveau qui mettent du temps à se manifester, ajoute-t-elle, sans compter que les mécanismes naturels dont dispose le cerveau pour lutter contre ces facteurs de dégradation commencent à s’affaiblir avec l’âge. D’autres troubles de santé qui se manifestent à un âge plus avancé pourraient également amplifier le problème. »

Échec de communication

Une personne souriante en chemise à carreaux et en blazer se tient devant un arrière-plan flou avec des fenêtres. « Je veux prédire quand la dégénérescence commence, car nous avons suffisamment de médicaments pour arrêter ces processus dès le début. » — Habib Benali

Habib Benali, professeur au département de génie électrique et d’informatique, décrit ces processus inflammatoires potentiels dans le cerveau comme des « cascades ». Le titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l’imagerie biomédicale et le vieillissement en santé estime que ce phénomène pourrait commencer des décennies avant un diagnostic de maladie d’Alzheimer.

Une grande partie des travaux actuels du Pr Benali à l’Université Concordia consiste à simuler la neurodégénérescence du cerveau. À cette fin, son laboratoire a recours à l’intelligence artificielle et à d’autres outils mathématiques et informatiques hautement sophistiqués.

Il s’agit de modéliser les changements réels ou potentiels du cerveau bien avant un éventuel diagnostic, permettant ainsi aux médecins de concevoir des mesures de prévention et des traitements adaptés à chacun.

La cascade de bêta-amyloïde, une protéine du cerveau liée à la maladie d’Alzheimer, est un des changements que modélisent le Pr Benali et son équipe. Lorsque cette protéine s’agglutine entre les cellules du cerveau, elle peut finir par former des plaques amyloïdes de taille suffisante pour empêcher le transfert des signaux entre les cellules, ce qui peut ralentir ou freiner la communication entre les cellules du cerveau et jouer un rôle dans la mort de ces cellules, entraînant ainsi un déclin cognitif.  

La protéine tau joue aussi vraisemblablement un rôle clé dans l’apparition de la maladie d’Alzheimer. Le Pr Benali et son équipe l’intègrent donc également dans leur modèle. Dans un cerveau en santé, la protéine tau régule l’assemblage et le maintien de la stabilité structurelle des microtubes (appelés axones). En revanche, dans un cerveau malade, elle s’effondre et se torsade, ce qui forme des amas de fibres enchevêtrées qui empêchent les nutriments d’atteindre les cellules du cerveau, ce qui provoque leur mort et, à la longue, se manifeste par la neurodégénérescence.

Le développement malsain de la bêta-amyloïde et de la protéine tau commence sans doute des décennies avant le diagnostic de la maladie d’Alzheimer, explique le Pr Benali. Le problème, c’est qu’au moment du diagnostic, il est souvent trop tard pour y remédier.

« C’est exactement ce que nous ne voulons pas, explique-t-il. Nous voulons prédire le moment du début de cette dégénérescence, car nous disposons de suffisamment de médicaments – même aujourd’hui – pour freiner ces processus à un stade précoce. » 

Fonctionnement interne

portrait d'une personne souriante vêtue de blanc, avec un arrière-plan flou et doux. « Si nous pouvons identifier quelles mesures IRM sont les plus utiles pour détecter les premiers changements cérébraux, cela pourrait permettre d'intervenir plus tôt et de prévenir le développement de la démence. » — Stéfanie Tremblay, B. Sc. 2016, M. Sc. 2019

La détection précoce est également un volet important du travail de Stéfanie Tremblay. Dans le cadre de ses recherches au département de physique, elle étudie actuellement les biomarqueurs IRM du déclin de la santé cérébrale chez les personnes âgées.

Mme Tremblay s’intéresse particulièrement aux liens – ou axones – entre les différentes régions du cerveau, qui sont essentielles aux études de simulation cérébrale du Pr Benali. Ces axones forment des parties de la matière blanche du cerveau, et Mme Tremblay les compare aux rues d’une ville.

« Il existe des preuves que l’évolution de la matière blanche pourrait être un marqueur très précoce de la démence, explique-t-elle, mais je ne m’attarde pas à sa perte de volume brute. C’est plutôt l’état de ces rues qui m’intéresse : s’agit-il d’une belle route à multiples voies ou plutôt d’une rue étroite avec de nombreux nids-de-poule? On peut imaginer que l’état de la route a une incidence sur la vitesse de transmission, qui se répercute ensuite sur les fonctions cérébrales. »

Dans un de ses principaux projets de doctorat, Stéfanie Tremblay utilise l’IRM pour étudier la santé de la matière blanche chez des personnes ayant des troubles cardiovasculaires, mais ne souffrant pas de démence. Comme les troubles cardiovasculaires sont de bons prédicteurs de démence ultérieure, elle cherche à déterminer si ces patients présentaient des changements cérébraux précoces associés à la démence.

Dans le cadre de son autre projet de doctorat, Mme Tremblay a recours à l’IRM pour étudier les axones des personnes ayant des antécédents familiaux de maladie d’Alzheimer, mais qui ne sont pas pour autant atteintes de la maladie.

Les projets sont en cours, mais elle observe bel et bien chez les deux groupes des changements dans la santé de la matière blanche, lesquels sont liés à des déficits cognitifs. « C’est important pour la détection précoce, affirme-t-elle. Si nous parvenons à cerner les mesures IRM les plus utiles pour détecter les changements cérébraux précoces, nous espérons pouvoir intervenir plus tôt et prévenir l’apparition de la démence. »

Établissement d’un lien entre capacités sensorielles et cognitives

Si importante que soit l’IRM pour repérer les premiers signes de la démence, chercheurs et cliniciens utilisent également d’autres outils de détection. Prenons l’exemple de la Pre Natalie Phillips, qui se sert généralement de tests cognitifs pour évaluer, chez les personnes âgées, le langage, l’apprentissage, la mémoire, la résolution de problèmes et l’aptitude à exécuter plusieurs tâches simultanément.

En 2005, la Pre Phillips a joué un rôle clé dans la conception de l’évaluation cognitive de Montréal, un outil de dépistage réputé aujourd’hui comme la norme mondiale pour la détection de l’état de risque de démence que l’on désigne déficience cognitive légère (DCL).

Plus récemment, comme directrice scientifique associée du Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement (CCNV), elle a participé à la plus grande étude canadienne sur la démence, appelée évaluation globale de la neurodégénérescence et de la démence (étude COMPASS-ND). Cette étude prévoit la collecte d’un grand volume de données sur les participants, qui risquent d’être atteints de démence ou qui en sont atteints.

La fonction sensorielle présente un intérêt particulier pour la Pre Phillips. Certaines de ses recherches les plus récentes ont porté sur ce qui explique que la perte de l’olfaction ou de l’audition semble augmenter la probabilité de développer une démence. Elle n’a pas encore de réponses, mais il y a quelques hypothèses.

Pour l’odorat, une théorie veut que la zone du cerveau qui sert de médiateur à ce sens soit aussi le point de départ de la pathologie de la maladie d’Alzheimer.

Selon la Pre Phillips, pour l’audition, c’est sans doute très différent.

« Il existe probablement des causes biologiques communes, mais nous savons également que, si vous souffrez d’une perte auditive, votre cerveau travaillera beaucoup plus fort lorsque vous communiquez et devra faire appel à d’autres zones pour compenser. À long terme, la situation peut devenir problématique si le cerveau essaie sans cesse de compenser. »

Les personnes ayant une perte auditive ont également tendance à limiter leur vie sociale, ajoute la Pre Phillips. « Une sortie demande plus d’efforts, il devient plus difficile d’entendre les gens pendant des fêtes, ce qui fait que vous ne voudrez peut-être pas faire ce genre d’activité aussi souvent. Et nous savons que l’engagement social revêt une grande importance pour aider les personnes âgées à maintenir leur vitalité. »

Des exercices pour le cerveau

Une personne aux cheveux courts et aux lunettes rouges se tient devant un arrière-plan composé de formes géométriques colorées. « Soutenir et améliorer la santé cérébrale pour réduire le risque de démence est multifacette et multidisciplinaire. » — Karen Li

Karen Li, professeure au département de psychologie, s’intéresse également à l’élaboration de méthodes autres que l’IRM pour détecter la neurodégénérescence. Ses recherches portent principalement sur l’évolution, avec l’âge, de notre capacité d’attention lorsque nous exécutons plusieurs tâches en même temps.

Certaines des études menées par son laboratoire consistent à demander à des personnes de faire un exercice, comme marcher sur un tapis roulant, tout en exécutant une tâche cognitive, comme une soustraction par trois.

L’une des conclusions les plus fréquentes du laboratoire de la Pre Li, c’est qu’un test portant sur l’exécution simultanée de plus d’une tâche peut en fait détecter les débuts de la neurodégénérescence avec plus de sensibilité qu’un test qui ne comporte qu’une tâche cognitive ou qu’une activité physique. Cela peut s’expliquer par le fait que les zones frontales du cerveau sont sollicitées à la fois par la marche et par le traitement cognitif.

« Ainsi, nous renversons en quelque sorte la situation : si ce sont les circuits neuronaux qui s’affaiblissent au cours du vieillissement et dans les maladies neurodégénératives, il nous faut donc trouver des moyens de renforcer ces circuits », explique la Pre Li, qui est, comme Mme Phillips, membre du CCNV.

L’équipe multidisciplinaire du CCNV de la Pre Li étudie les interventions visant à améliorer la cognition et la mobilité chez les personnes âgées. Ses membres sont actuellement à la recherche de participants pour un vaste essai clinique évaluant l’effet de l’exercice aérobique modéré et d’un entraînement à la résistance, ainsi que d’un entraînement cérébral informatisé chez les personnes à risque de développer la maladie d’Alzheimer.

L’équipe espère s’appuyer sur ses propres recherches et sur celles d’autres chercheurs pour souligner l’importance de l’exercice physique et cognitif pour le bon fonctionnement des cerveaux vieillissants. « Le nouvel essai clinique tient également compte d’autres facteurs, tels qu’un bon sommeil et de bonnes habitudes alimentaires, explique la Pre Li. Cela permet de reconnaître que le soutien et l’amélioration de la santé cérébrale en vue de réduire le risque de démence sont des voies multidisciplinaires et à multiples facettes. »

Facteurs de risque supplémentaires

Le type de travail collectif auquel se livre l’équipe de la Pre Li est essentiel pour tenter de détecter et de prévenir une série si complexe de maladies, avance Mme Tremblay. « Surtout parce que nous savons que la démence est plus fréquente chez les populations défavorisées et dans les communautés ethniques en situation minoritaire. Nous avons besoin d’une approche collective plus forte pour tenter de résoudre ce problème. »

La bonne nouvelle, c’est que de plus en plus de chercheurs le reconnaissent, ajoute-t-elle.

Prenons l’exemple des travaux de simulation cérébrale menés par Habib Benali et son équipe. Selon le Pr Benali, rien de tout cela n’aurait été possible sans l’expertise de scientifiques canadiens et internationaux travaillant dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la neuro-imagerie, de la biologie informatique, de la santé numérique, de la génomique, de la recherche sur la maladie d’Alzheimer, des statistiques, de l’épidémiologie et d’autres disciplines.

Aujourd’hui, son équipe tente même d’inclure l’environnement des personnes dans les simulations cérébrales, ce qui nécessite une nouvelle série de collaborateurs.

« Si je veux suivre une personne pendant dix ans et prédire si elle développera la maladie, je dois inclure son environnement dans sa physiologie, fait remarquer le Pr Benali. C’est un très gros problème, mais c’est exactement ce sur quoi mon équipe travaille aujourd’hui. »

Ces facteurs de risque environnementaux peuvent avoir une grande importance. Selon un rapport publié en 2020 dans The Lancet, 40 % des cas de démence seraient attribuables à 12 facteurs de risque potentiellement modifiables, dont la pollution de l’air et le manque de contacts sociaux. Les autres facteurs de risque sont le manque de scolarisation, l’hypertension, les troubles auditifs, le tabagisme, l’obésité, la dépression, l’inactivité physique, le diabète, la consommation excessive d’alcool et les lésions cérébrales traumatiques.

« Pendant le vieillissement, le principal conseil à suivre est de rester actif, à la fois sur le plan physique et cognitif, et de trouver des activités qui vous motivent afin de limiter vos facteurs de risque cardiovasculaire, affirme Natalie Phillips. Faites tout ce que votre grand-mère vous aurait dit de faire : arrêtez de fumer, mangez plus de légumes, sortez prendre de l’air et faites plus d’exercice. »

Il est également important de garder espoir, ajoute-t-elle. Oui, le nombre brut de cas de démence augmente, mais c’est aussi parce que les personnes âgées de plus de 65 ans sont plus nombreuses qu’il y a quelques décennies.

« Dans les pays occidentaux, le pourcentage de personnes atteintes de démence dans la tranche d’âge la plus élevée est en fait en baisse par rapport à ce qu’il était il y a 20 ans, note la Pre Phillips. Cela s’explique probablement par les nombreux messages de santé publique concernant les facteurs de risque cardiovasculaire et l’amélioration générale de l’éducation et de la qualité de vie. C’est donc une bonne nouvelle qu’il faut retenir et sur laquelle nous devons continuer à nous appuyer. »

Lire la section de cet article intitulée « Quand bien dormir devient plus difficiile : De plus en plus d’études établissent un lien entre le manque de sommeil et la démence ».



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