Skip to main content

Une artiste et enseignante au secondaire décédée surprend le Département d’éducation artistique par un généreux don

Céramiste et peintre accomplie, Rose Szasz a fui une Hongrie déchirée par la guerre pour amorcer une nouvelle vie à Montréal
5 juillet 2024
|
Par Ian Harrison, B.Comm. 2001


Rose a des cheveux gris et des lunettes. Elle est assise sur une chaise rouge près d'étagères en bois remplies de livres. Rose Szasz, donatrice à la Campagne pour Concordia, à sa résidence de l’île Bigras.

En consentant aux étudiantes et étudiants du Département d’éducation artistique de l’Université Concordia un legs-surprise de 95 000 $ destiné à financer des bourses d’études, une artiste aux multiples talents aussi enseignante au secondaire leur a donné les moyens de s’accomplir.

Ce don planifié à la Campagne pour Concordia figurait parmi les dernières volontés de la regrettée Rose Szasz, qui a succombé à la maladie de Parkinson en 2021. Elle avait 86 ans.

De l’avis général, Rose Szasz a vécu une vie farouchement indépendante, marquée par la créativité et la détermination.

Au cœur de son existence et de sa démarche artistique se trouvait sa résidence – modeste, mais bien aménagée – située sur l’île Bigras, entre l’île de Montréal et la ville de Laval.

Dotée d’un charme unique, cette communauté de 400 habitants est le lieu où Rose Szasz – peintre, sculpteure et céramiste – avait choisi de vivre, entourée de livres, de plantes et de nombreuses œuvres d’art.

Après avoir acheté sa maison de plain-pied dans les années 1970, Rose Szasz l’a fait surélever et a transformé le sous-sol en studio. Un atelier séparé sur sa propriété contenait un four gigantesque où elle faisait cuire ses poteries.

« Il s’agissait en réalité d’un chalet d’été monté sur des blocs de béton avant que Rose ne le fasse rénover », explique le céramiste Don Goddard, ami et collaborateur de Rose Szasz. « Une fois les travaux terminés, le studio au sous-sol s’est trouvé inondé de lumière naturelle. »

« Elle possédait une presse et faisait de la gravure, de la photographie et de l’eau-forte. C’était une aquarelliste accomplie, et ses dessins sont parmi les mieux exécutés que vous puissiez voir. »

Son chat bien-aimé faisait partie de ses sujets de prédilection, tout comme les grenouilles et une foule d’autres animaux. Les paysages de l’île Bigras, de Montréal et des environs de Val-David, où Rose Szasz exposait régulièrement ses œuvres, ont inspiré ses aquarelles.

Il en va de même pour ses voyages. Son œuvre intitulée Pottery Market, San Miguel, inspirée d’un périple à San Miguel de Allende, au Mexique, a valu à Rose Szasz une médaille d’argent de la Société canadienne de l’aquarelle en 2014.

Pour certains de ses voisins, Rose Szasz était un sujet de fascination.

« J’ai toujours été curieuse de savoir ce que faisait Rose, mais j’étais trop timide pour l’approcher », se souvient Claudia Laurin, qui a grandi à côté de chez elle. « Elle pouvait passer des heures et des heures dans son studio. »

Cette peinture à l'aquarelle aux couleurs vives représente un bâtiment de ferme rouge au centre, avec des voies ferrées le long de la route. Il y a un ruisseau au centre ainsi qu'un bâtiment de ferme blanc sur le côté. Une des nombreuses œuvres d'art de Szasz.

Claudia Laurin surmontera plus tard sa timidité pour se lier d’amitié avec sa voisine. Elle viendra même habiter dans la maison de Rose Szasz, une fois celle-ci vendue au père de Claudia en 2019.

Claudia Laurin y vit aujourd’hui avec son mari et ses deux filles. Bien que la maison ait dû être rénovée pour accueillir les quatre membres de sa famille, Claudia Laurin a fait de son mieux pour préserver l’esprit de l’artiste, notamment grâce à l’Espace Musée de Rose, lequel est ouvert aux visiteurs sur rendez-vous.

« Je possède une soixantaine d’œuvres de Rose, ainsi que plusieurs de ses livres et d’autres effets personnels », indique Claudia Laurin, ergothérapeute diplômée qui, par ailleurs, enseigne l’art en plus d’être titulaire d’une maîtrise en muséologie de l’Université de Montréal.

« En outre, Diadra Sherwin – qui, pour Rose, représentait une sorte de nièce – nous a fourni de nombreuses photos et beaucoup d’information sur sa vie. »

« Rose n’avait peur de rien »

Née à Pécs, en Hongrie, en 1935, Rose Szasz y a vécu son enfance à une époque qui, sans doute, fut la plus difficile de la longue histoire du pays.

Durant cette période, la Hongrie a dû faire face à de redoutables adversaires, d’abord à l’Allemagne nazie, durant l’Holocauste, puis à l’Union soviétique, qui a mis fin de manière brutale à un mouvement de résistance au pays en 1956.

Pendant que tout cela se déroule, Rose Szasz grandit dans la pauvreté, en grande partie sous la responsabilité d’une mère célibataire et d’une famille d’accueil. Son talent créatif se manifeste très tôt. Elle obtient un diplôme d’une école secondaire axée sur les arts et s’essaye ensuite au photojournalisme, une proposition risquée derrière le rideau de fer.

« Lorsqu’elle a voulu obtenir son permis de conduire pour camions, elle a dû s’entraîner à utiliser de la machinerie lourde et une arme à feu », fait remarquer Margaret Jones, une amie et voisine de l’île Bigras. « Apparemment, elle était une véritable tireuse d’élite. »

Alors que l’oppression soviétique atteint son paroxysme à la fin des années 1950, Rose Szasz planifie sa fuite de Hongrie.

« Plus tard, Rose m’a expliqué que des soldats avaient envahi son dortoir et commencé à rassembler les gens », se souvient Margaret Jones. « Elle est sortie en courant par la porte de derrière et s’est rendue à la gare avec une amie, pour constater que le quai était bondé. »

« Elles ont eu alors la bonne idée d’aller voir un film. Lorsqu’elles sont revenues à la gare, tout le monde avait été évacué par les Soviétiques. Par miracle, elles ont pu prendre un train et passer la frontière. Rose n’avait peur de rien. »

Comme des milliers de ses compatriotes, Rose Szasz trouve refuge dans un camp de personnes déplacées et se rend seule au Canada pour commencer une nouvelle vie, à Montréal.

De la Sir George Williams University à la Universidad de Guanajuato

Lorsque Rose Szasz se présente à une entrevue à la Sir George Williams University – quinze ans avant que celle-ci ne fusionne avec le Loyola College pour devenir l’Université Concordia – elle ne parle ni anglais ni français.

Armée de son portfolio, elle persuade les administrateurs, notamment Douglass B. Clarke et Henry F. Hall – deux des plus importants bâtisseurs de Concordia – qu’elle n’a besoin que d’un crayon et d’un pinceau pour étudier les arts plastiques.

Elle maîtrise rapidement l’anglais et s’épanouit sur le campus.

Après un passage chez Bell Téléphone, elle obtient un diplôme en enseignement de l’Université McGill et intègre le personnel du Northmount High School (aujourd’hui l’Académie Shadd), situé dans le quartier Côte-des-Neiges, à Montréal. Elle y évoluera durant les années 1963 et 1964.

Photographie d'une page de l'annuaire de Sir George Williams de 1962 sur laquelle figure le portrait de Rose Szasz, diplômée. À côté du portrait, on peut lire : "Szasz, Rose Born in Pecs Hungary in 1939" (Rose Szasz née à Pecs en Hongrie en 1939). Rose Szasz a fréquenté la Sir George Williams University au début des années 1960.

En 1966, elle obtient une bourse de l’École d’art et de design du Musée des beaux-arts de Montréal pour étudier avec Arthur Lismer, membre du célèbre Groupe des Sept. Elle décroche par la suite une maîtrise en beaux-arts de l’Instituto Allende de l’Université de Guanajuato, au Mexique.

À son retour à Montréal, elle entame une carrière d’enseignante en art, dont la majeure partie se déroule à l’école secondaire Riverdale, dans la banlieue nord-ouest de Pierrefonds.

Elle s’investit par ailleurs dans de nombreuses expositions, notamment à la Guilde canadienne des métiers d’art, au centre-ville de Montréal, où elle reçoit un prix d’excellence en 1988.

« La maladie l’a privée de ses capacités motrices »

Dix ans plus tard, Rose Szasz donnait son dernier cours d’art à Riverdale. À la retraite, elle aurait plus de temps pour créer et pour cultiver d’anciennes et de nouvelles relations.

Margaret Jones et son mari, Jon, comptent parmi ses amis les plus proches. Tous deux sont collectionneurs d’art et enseignants (Jon, sculpteur et peintre, a enseigné à Riverdale avec Rose). C’est à l’occasion d’une fête du personnel organisée dans la maison du couple à l’île Bigras que Rose Szasz tombe sous le charme de la banlieue.

Margaret et Jon, qui ont été les exécuteurs testamentaires de Rose Szasz et qui vivent aujourd’hui en ville, gardent un souvenir ému de leur séjour sur l’île en compagnie de l’artiste.

« L’île Bigras était le genre d’endroit où l’on pouvait sortir le matin pour se promener et ne rentrer que le soir, après avoir été invité chez quelqu’un pour le déjeuner, le café et peut-être même le souper », relate Jon Jones. « C’était une communauté tissée serrée, et je pense que c’est ce que Rose chérissait. »

À l’aube de ses quatre-vingts ans, cependant, sa santé décline. Un jour qu’elle s’est effondrée dans son jardin, les médecins lui découvrent un dysfonctionnement cardiaque et lui posent un stimulateur (pacemaker).

Puis sa maladie de Parkinson s’aggrave.

« Lorsque nous l’avons finalement aidée à prendre la décision de déménager dans un établissement de soins spécialisés en 2019, cela a été assez difficile », admet Margaret Jones. « Toutefois, lorsque les déménageurs sont venus prendre ses affaires, elle est restée stoïque, ce que j’ai trouvé assez incroyable. »

En perdant son mode de vie sur l’île Bigras, Rose Szasz se retrouvait également dans l’impossibilité de faire ce qu’elle aimait le plus.

« C’est ce qu’il y a de plus cruel dans la maladie de Parkinson », affirme Jon Jones. « La maladie l’a privée de ses capacités motrices, mais elle a continué à dessiner aussi longtemps qu’elle le pouvait. »

Après deux ans passés dans l’établissement de soins, Rose Szasz est décédée en septembre 2021.

Bien qu’il n’y ait pas d’explications définitives quant à la raison pour laquelle elle a laissé une si grande partie de ses biens à Concordia, il existe quelques théories.

« Rose était le genre de professeure d’art qui voulait que ses élèves explorent leur créativité en toute liberté », explique Don Goddard.

« Elle était fière d’être une spécialiste et d’encadrer de jeunes artistes. »

« Il y a aussi une autre raison », ajoute Margaret Jones.

« Il suffit de penser à la façon dont elle a grandi en Hongrie et aux défis qu’elle a dû relever », elle remarque.

« Elle était reconnaissante de la vie qu’elle s’était construite en tant qu’enseignante et artiste indépendante. Je pense que Rose voulait aider les autres à avoir ce genre de vie aussi. »



Retour en haut de page

© Université Concordia