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Le 1er juillet marque le 100e anniversaire de la loi sur l’exclusion des Chinois

Alice Ming Wai Jim, de l’Université Concordia, propose une réflexion sur cette loi raciste adoptée en 1923 qui restreignait l’immigration d’origine asiatique au Canada
29 juin 2023
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Travailleurs chinois sur le chemin de fer du Canadien Pacifique Près de quatre décennies après que 17 000 ouvriers chinois ont travaillé dans des conditions périlleuses sur le chemin de fer du Canadien Pacifique, le gouvernement du Canada a adopté la Loi sur l'immigration chinoise. | Image D-07548 avec l'aimable autorisation du Royal BC Museum

Le 1er juillet 1923 est un jour sombre de l’histoire du Canada.

Près de quatre décennies après la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique, terminée en 1885 au prix des efforts de 17 000 ouvriers chinois qui ont travaillé dans des conditions périlleuses, le gouvernement du Canada a adopté la Loi de l’immigration chinoise.

Communément appelée « loi sur l’exclusion des Chinois », cette loi imposait de sévères restrictions à l’immigration d’origine asiatique au Canada.

Dans les douze mois suivant l’entrée en vigueur de la loi, les personnes d’origine chinoise ou issues d’autres pays asiatiques devaient s’inscrire au ministère canadien de l’Immigration et de la Colonisation. Elles devaient également avoir sur elles une carte d’identité qui a été comparée au laissez-passer du régime d’apartheid d’Afrique du Sud, faute de quoi elles risquaient la déportation.

Par conséquent, on estime à seulement 15 le nombre d’immigrants chinois qui ont pu entrer au Canada entre 1923 et 1946.

Un devoir de mémoire

La Pre Alice Ming Wai Jim est historienne de l’art et commissaire à l’Université Concordia; ses travaux portent sur l’absence de représentation des communautés racisées dans l’histoire de l’art au Canada. Elle s’emploie à éduquer la population canadienne sur le racisme envers les personnes asiatiques, noires et autochtones en Amérique du Nord, et sur les réponses artistiques apportées à ces chapitres sombres et méconnus de l’histoire.

« La loi sur l’exclusion des Chinois a été le point culminant de trois décennies de sentiment anti-asiatique qui se manifestait par divers mouvements anti-asiatiques, des émeutes raciales et l’adoption d’autres lois visant à “maintenir un Canada blanc” », relate-t-elle.

« La culture visuelle regorge de caricatures racistes que l’on peut voir dans les archives historiques, où les Chinois sont décrits comme des hordes d’étrangers envahissants; c’est ainsi que l’idée du “péril jaune” a commencé à s’imposer. Cette exclusion a donné lieu à toute une génération de Sino-Canadiens célibataires, car ce sont majoritairement des hommes qui étaient recrutés pour travailler à la construction du chemin de fer dans les années 1880, aux termes d’une forme de servitude contractuelle s’étendant sur des périodes de quatre ou cinq ans. »

Pour comble d’insulte, aucun ouvrier asiatique ou autochtone ne figure sur les photos où l’on voit des ouvriers fixer au sol les derniers crampons de la voie ferrée.

Une taxe d’entrée avait été imposée aux immigrants chinois à partir de 1885, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi sur l’exclusion chinoise, en 1923.

« Lorsque la construction du chemin de fer a pris fin, en 1885, de nombreux travailleurs se sont retrouvés sans emploi, poursuit Alice Ming Wai Jim. Le gouvernement s’est alors demandé si ces personnes allaient demeurer au pays et chercher à s’affranchir, et c’est à ce moment-là que les politiques d’exclusion ont été mises en œuvre. »

L’augmentation rapide de la taxe d’entrée, dont le montant est passé de 50 $ en 1885 à 500 $ en 1903, indique à quel point le racisme anti-asiatique inscrit dans les lois et propulsé par le discours sur le péril jaune a connu une progression rapide.

« Ces politiques discriminatoires ont eu un profond impact sur les communautés sino-canadienne et asiatique. Elles ont eu pour effet de diviser des familles pendant des décennies et de créer un sentiment d’exclusion qui a persisté longtemps après l’abrogation de la loi, en 1947. »

A woman with black hair wears dark clothing in front of a gray background Alice Ming Wai Jim

Agir pour changer les choses

Une cérémonie nationale de commémoration s’est déroulée le 23 juin dernier au Sénat canadien, organisée par les sénateurs Yuen Pau Woo et Victor Oh ainsi que des membres de la fondation Action! Chinese Canadians Together (ACCT). Des discours, des lectures de poésie, des prestations musicales et le dévoilement d’une plaque commémorative étaient à l’ordre du jour.

Toutefois, selon Alice Ming Wai Jim, si l’on en juge par les réactions aux récentes allégations d’ingérence chinoise dans les affaires du Canada, il importe de continuer à faire preuve de vigilance et de poursuivre la conversation.

« Cet événement vient appuyer les campagnes de sensibilisation menées actuellement contre la haine à l’endroit des personnes d’origine asiatique, affirme-t-elle. La fondation ACCT mène activement diverses initiatives visant à éduquer la population sur l’histoire du racisme envers les personnes d’origine asiatique au Canada et à mettre fin à l’oblitération historique de ces personnes, dans une perspective de réconciliation et de guérison. »

Des histoires moins connues dans l’art canadien

Dans son propre travail, Alice Ming Wai Jim explore les contributions des communautés racisées au cours de l’histoire de l’art canadien. Son exposition intitulée Redress Express, présentée à Vancouver en 2007, abordait la question de la taxe d’entrée en collaboration avec plusieurs artistes et militants, dont Sid Tan et Karen Tam.

Alice Ming Wai Jim a également fondé la revue Asian Diasporic Visual Cultures and the Americas et travaille actuellement à l’écriture d’un livre sur des artistes canadiens de couleur qui se revendiquent d’un autre groupe de sept. « On y aborde d’importantes dates dans l’histoire de l’immigration canadienne qui ont eu un profond impact non seulement sur les minorités visibles issues de l’immigration, mais aussi sur les relations entre les personnes de couleur et les communautés autochtones, dont les territoires non cédés ont été le théâtre de ces luttes au cours de l’histoire et jusqu’à aujourd’hui », précise-t-elle.

Le centenaire de la loi sur l’exclusion des Chinois doit être vu dans l’optique plus large selon laquelle la discrimination structurelle contre les personnes racisées fait du tort à l’ensemble de la population, fait valoir Alice Ming Wai Jim. « Et pourtant, déplore-t-elle, nous savons encore très peu de choses sur ces années d’exclusion, sur le Komagata Maru ou sur les camps d’internement des Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise. »

« Je suis d’avis que l’éveil racial qui a été amplifié par le mouvement Black Lives Matter et le meurtre de George Floyd, ainsi que la croissance des groupes suprémacistes blancs et la recrudescence de la haine anti-asiatique au cours de la pandémie de COVID-19 nous ont fait prendre conscience de l’impérative nécessité d’œuvrer à l’avènement d’une société plus juste. Or, pour que ce changement survienne, nous devons apprendre à mieux connaître notre passé. La situation actuelle devrait nous inciter à passer à l’action, et il est plus que temps de discuter de ces enjeux. »


Apprenez-en davantage sur le
Département d’histoire de l’art de l’Université Concordia.

 



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