L’Université Concordia offre un atelier non crédité pour l’amour de la langue et de la culture cries
Manon Tremblay a l’habitude d’enseigner le cri, mais elle souhaitait essayer une nouvelle approche.
L’hiver dernier, elle a donc offert un atelier de langue crie non crédité dans le cadre de la série annuelle d’activités d’apprentissage sur les réalités autochtones Pîkiskwêtân de l’Université Concordia. Son objectif était de créer un environnement convivial et interactif plutôt qu’un cours structuré portant sur la grammaire et le vocabulaire.
« L’idée était de donner un aperçu de la culture et des traditions cries par l’entremise de la langue, explique Mme Tremblay, directrice principale des directions autochtones à Concordia. Apprendre une langue sans connaître la culture et les traditions des gens qui la parlent peut s’avérer terriblement ennuyeux et aride. »
Nêhiyaw-iskwêw (Crie des plaines) de la Nation crie de Muskeg Lake, Manon Tremblay a enseigné sa propre langue, le nêhiyawêwin, dialecte cri parlé en Saskatchewan et ailleurs dans l’ouest du pays.
Cet atelier unique en son genre a regroupé des membres de l’effectif étudiant de tous les cycles, du corps professoral et du personnel de l’Université. Les séances hebdomadaires se tenaient à l’heure du dîner, et les participants étaient libres de manger tout en apprenant.
« Il est primordial que les langues autochtones soient enseignées, parlées et préservées », affirme Aidan Condo, inscrit au programme d’études des peuples autochtones.
« En tant que Mi’kmaq, j’étais curieux de découvrir les similitudes et les différences entre nos langues, puisque le cri fait aussi partie de la famille des langues algonquiennes. Je n’ai qu’un niveau de compréhension élémentaire de ma propre langue, mais j’ai pu remarquer des liens entre certains mots. »
Conseiller aux initiatives d’équité et de relations institutionnelles au Service de la recherche de Concordia, Eli Friedland possède une formation en langues. Ayant grandi en Saskatchewan, il ne pouvait pas laisser passer l’occasion d’apprendre le cri des plaines.
« C’est la langue autochtone la plus couramment parlée là où j’ai grandi. J’ai appris quelques mots en les entendant souvent quand j’étais jeune, mais je ne suis jamais allé plus loin », note M. Friedland.
« Lorsque j’ai vu l’invitation à suivre un cours d’initiation à cette langue, je n’ai pas pu résister. »
Enseigner une langue complexe dans un cadre convivial
C’est en partie la complexité du cri des plaines qui a incité Manon Tremblay à adopter une approche pédagogique inusitée. Le fait d’agrémenter les leçons de récits et de relier les mots à l’histoire a aidé les personnes participantes à saisir des concepts linguistiques difficiles tout en se familiarisant avec la culture crie.
« Le peuple cri possède une culture riche et de nombreux récits sacrés, qui sont en fait assez drôles, tout en offrant de précieuses leçons de vie », explique-t-elle.
« Le recours à certaines de ces histoires pour enseigner la langue permet de maintenir l’intérêt. Le cri est une langue polysynthétique », poursuit Mme Tremblay, ce qui signifie qu’elle comporte de nombreuses inflexions.
« Elle n’a rien à envier au latin pour ce qui est du nombre et de la complexité des déclinaisons et des inflexions, ce qui peut sembler insurmontable pour les apprenants. C’est pourquoi j’ai pensé qu’il était important que l’atelier demeure interactif. »
Cette approche a plu à Aidan Condo et à Eli Friedland.
« Le cadre convivial de l’atelier a permis de mettre l’accent sur l’aspect communautaire, le partage et la narration, de sorte que nous avons appris bien plus que la langue », explique M. Condo.
Pour M. Friedland, Manon Tremblay est une enseignante et une linguiste de talent.
« Elle savait que la plupart d’entre nous enchaîneraient les maladresses avant de pouvoir dire tânisi ("comment allez-vous?" ou "bonjour") ou pêyak ("un"), précise-t-il. Grâce à son approche décontractée, elle a pu susciter un esprit d’encouragement mutuel, ce que j’ai bien aimé. »
Mme Tremblay a raconté une anecdote qui illustre comment elle s’appuie sur l’histoire pour enseigner la langue. Cette anecdote portait sur l’origine du mot cri pour désigner le cochon. Les colons français, qui ont introduit les cochons sur le territoire, les appelaient en criant « coche, coche, coche! ».
Or, comme il n’y avait pas de cochons sur le territoire avant l’arrivée des colons, il n’existait aucun mot cri pour les désigner. Un nouveau mot a donc pris forme, kôhkos, basé sur l’appel familier des colons.
« La raison pour laquelle les Cris qui vivaient dans le Nord-Ouest empruntaient au français plutôt qu’à l’anglais fait partie intégrante de l’histoire du Canada, explique Manon Tremblay. Cette situation est directement liée à l’expansion territoriale de la Compagnie du Nord-Ouest, une société de traite des fourrures qui a été en activité de 1779 à 1821, et dont la majorité des employés étaient canadiens-français. »
Des modes de vie et des structures de parenté révélés par la langue
Aidan Condo constate que certaines des différences entre les langues crie et mi’kmaq reflètent les modes de vie distincts de leurs peuples.
« Ce que j’ai le plus aimé, c’est d’apprendre l’origine de certains mots, souvent liés à des récits qui révèlent l’histoire, les croyances et le mode de vie du peuple cri des plaines », explique-t-il.
« J'ai été fasciné de voir combien de mots cris n’existent pas dans la langue mi’kmaq, et vice versa, ce qui s’explique en grande partie par les différences de mode de vie dans les plaines et sur la côte. »
L’un des aspects du cri qui ajoute à sa complexité est la façon dont les mots illustrent les relations. Alors qu’un seul mot est utilisé en anglais ou en français pour les noms qui indiquent la parenté, par exemple, il peut y avoir en cri plusieurs mots qui reflètent le contexte, la relation et le genre.
« Il existe énormément de mots souches qui doivent être complétés en précisant à qui ou à quoi quelqu’un ou quelque chose est relié », souligne Eli Friedland.
« En anglais, on peut parler d’une "mère" de façon abstraite. En cri, il faut toutefois préciser nikâwiy ("ma mère"), kikâwiy ("ta mère"), etc., ce qui me semble refléter la vie d’une manière très concrète ».
Pour Manon Tremblay, l’atelier a connu un franc succès, suscitant un intérêt certain dans toute l’Université et de nombreuses demandes pour qu’il soit à nouveau proposé, peut-être en ligne ou au campus Loyola. « J’aimerais beaucoup que le même type d’atelier soit offert en d’autres langues autochtones dans un avenir proche. »
Découvrez les ressources et les activités liées au Mois national de l’histoire autochtone à l’Université Concordia.