Geneviève Sioui est membre de la nation Huronne-Wendat et coordinatrice de l’engagement communautaire autochtone à l’Université Concordia. Son identité mixte wendate et québécoise, Son statut de femme autochtone en milieu urbain et Ses expériences professionnelles en recherche, en éducation et en organisation communautaire colorent ses valeurs et principes.
Résurgence autochtone : les étudiant.e.s envisagent un meilleur modèle de recherche
par Geneviève Sioui

En 2022, en collaboration avec le Centre SHIFT pour la transformation sociale, le Bureau de l’engagement communautaire a mis sur pied les Fonds d’apprentissage communautaire pour étudiant·es autochtones (CELFIS). Les bourses, octroyées par des pairs autochtones, encourage la participation des communautés dans la recherche universitaire et facilitent l’utilisation de méthodologies de recherche autochtones.
Cet article aborde les enjeux d’exploitation des communautés et savoirs autochtones dans le cadre de la recherche universitaire et met en lumière les transformations souhaitées et mises en place par les chercheurs-étudiant.es à l’Université Concordia - telles que formulées lors d’un symposium sur la recherche autochtone en janvier 2025.
Jusqu’en 1984, tout membre d’une Première Nation qui recevait un diplôme universitaire était «émancipé.e», c'est-à-dire qu'iel perdait son statut d'Indien et devenait un.e Canadien.ne aux yeux du gouvernement fédéral. Cet article de loi n’empêche pas des apprenant.e.s autochtone de décrocher des diplômes universitaires, ni au militantisme autochtone d’être présent dans les universités. Dans les années 1970, les Premières Nations “anchored the campus in critical social and civil rights dicourse, making early Concordia a site of activism, decolonial thought, and pedagogical experimentation (...)”.
Cependant, la présence autochtone dans les institutions post-secondaires reste marginale et ce n’est qu’à la suite de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) et la Commission Vérité Réconciliation (2015) que les universités prennent des engagements publics pour décoloniser la recherche. À l’université Concordia, de nombreuses années de revendications et de présence autochtone aboutissent finalement à la création d’un premier plan d’action des directions autochtones en 2019.
La recherche universitaire concernant les Autochtones est largement menée par des chercheurs allochtones et, en plus d’être désavantageuse, voire dommageable pour les communautés, elle s’inscrit dans un rapport de pouvoir et un accès aux ressources qui permet d’exploiter les savoirs autochtones (et les ressources minières, matérielles, culturelles, etc.) pour en tirer profit. Face à cette réalité, les experts autochtones se font une place dans les milieux universitaires et redéfinissent la manière dont on conçoit la recherche
Résurgence autochtone
Le penseur Kanienʼkehá꞉ka Taiaiake Alfred propose le terme « résurgence autochtone » pour inviter ses pairs à forcer un changement de paradigme de la réconciliation vers la décolonisation. Il suppose qu’une régénération des pratiques culturelles, spirituelles et politiques permettra de confronter le colonialisme des États et des institutions. Des intellectuel·les autochtones comme Linda Tuhiwai Smith et Eve Tuck publient aussi des textes fondateurs qui appellent à la décolonisation de la recherche. Dans ceux-ci, on replace les traditions épistémologiques des Autochtones au cœur des principes de recherche:
Nos systèmes de connaissances contiennent de nombreuses réponses que nous recherchons
- Iako'tsi:rareh Amanda Lickers
Le savoir traditionnel autochtone n’appartient à personne, la seule responsabilité des individus est de le protéger et le transmettre et ce, au bénéfice de leur communauté. Il est donc impossible de s’approprier les connaissances et de les utiliser pour en faire des gains personnels et professionnels, pour faire du profit, et encore moins pour breveter une innovation – incluant les innovations réalisées dans le cadre de recherches et du monde académique.
Recherche menée par les autochtones
Conformément à ces responsabilités, une nouvelle génération de chercheurs autochtones refuse de faire de la recherche individuelle, privilégiant la multiplicité des points de vue et le besoin impératif de partager les connaissances entre les générations.
Les chercheurs autochtones mettent au cœur de leurs approches leur désir pour une recherche qui a un impact positif sur la collectivité, décentralisant le processus. À l’opposé, la recherche occidentale, et certaines disciplines comme l’anthropologie classique, permet à des individus de se bâtir une carrière et une renommée internationale en étudiant les Peuples autochtones du monde – pensons à Franz Boas, qui était fasciné par les Inuit de l’île de Baffin. Cette prise d’espace par les chercheurs allochtones découle aussi de la dévalorisation et du musellement de la parole des Autochtones, et des stratégies d’oppression qui menacent nos langues, comme l’ont fait les pensionnats.
Les histoires (storytelling) prennent donc une place importante dans le processus de décolonisation de la recherche. La prise de parole redonne du pouvoir à la communauté, en plus de pouvoir contribuer authentiquement à la littérature scientifique. Ainsi, la recherche autochtone contribue à revaloriser des savoirs et des histoires volées, et elle participe à la guérison de la communauté.

Les artistes Inuit et les Aînés nous aident à décider quelles histoires orales sont appropriées à utiliser dans cette recherche. Nous travaillons avec des archives (collectées par des chercheurs non-Inuit) et ces archives ne peuvent pas nous donner leur consentement pour être utilisées. Nous devons donc valider avec nos Aînés qui connaissent ces histoires.
- Christine Qillasiq Lussier
L’étudiante en beaux-arts, Juliet Mackie explique: “La colère a été une source de motivation pour faire de la recherche autrement. Il y a tellement de représentations stéréotypées des femmes autochtones dans l’art, les films et les médias que je veux contrebalancer cela avec un portrait juste et positif”.
La colonisation a miné le développement intellectuel autochtone par l’assimilation culturelle et la séparation violente des Peuples autochtones à leur source principale de connaissances : le territoire. Il n’est donc pas surprenant de constater la place centrale que les chercheurs autochtones donnent au territoire car il contient de précieuses connaissances qui ont été effacés par le projet de colonisation, créant une impression de terra nullius.
La recherche sur le territoire (land-based pedagogy) permet au chercheur et aux connaissances de faire du sens, d’établir des relations.
En somme, la recherche menée par des Autochtone s’articule autour de principes centraux comme l’écoute profonde, le consentement continu, la responsabilité et la réciprocité et elle s’ancre dans les visions du monde autochtones qui sont millénaires.
Quelles voies de sortie ?
Pour se protéger de la recherche dommageable, les communautés adoptent des stratégies par exemple les «Principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession des Premières Nations (PCAP)» et elles développent des protocoles éthiques ou des formations pour outiller les chercheurs allochtones. Cependant, le fardeau éducatif reste largement porté par les Autochtones.
Dans leurs plans d’action, les universités promulguent des idéaux tels que le respect des protocoles locaux, une meilleure compensation, de la recherche collaborative et communautaire, de la réciprocité et des partenariats à long terme. Cependant, les obstacles structurels demeurent et les mécanismes de suivi pour assurer un respect des nouvelles normes en recherche sont quasi inexistants.
Mon processus de recherche est influencé par le travail en communauté. Je veux que mon travail et parcours académique reflètent mes expériences personnelles et la richesse que je vois dans la communauté.”
- Véronique Picard
Entre temps, les chercheurs autochtones, en collaboration avec les communautés, innovent pour pouvoir déterminer leurs priorités de recherche ou contourner les règles pour accéder aux fonds de recherche qui sont réservés aux titulaires de diplômes. Il reste que les savoirs communautaires autochtones et ceux qui les possèdent ne sont pas reconnus comme des égaux dans le monde universitaire. Le système actuel permet difficilement à une Aînée qui ne possède pas un diplôme universitaire d’être reconnue et payée comme co-chercheure ou d’être citée comme auteure d’un article scientifique. Ainsi, les institutions encouragent la collaboration avec les communautés, mais ne corrigent pas les iniquités qui contribuent à l’exploitation de leurs expertises.
Le défi est aussi d’encadrer les pratiques individuelles qui sont extractives et néfastes. Le manque de connaissances et parfois le racisme des chercheurs allochtones limitent leur capacité à agir comme allié·es. Le guide Dewemaagannag Mes relations invite les non-autochtones à l’autoréflexion et à utiliser leurs privilèges au profit de l’autodétermination des Autochtones et de la transformation de la recherche. Il suggère des bonnes pratiques qui peuvent être mises en place dans nos relations, comme redéfinir la notion de consentement, aborder les relations de pouvoir dans la recherche, ou encore repenser la compensation en fonction du travail invisible et émotionnel que font les Autochtones. Ces actions sont nécessaires en attendant qu’on élimine les obstacles qui empêche une réelle décolonisation de la recherche universitaire.
Je suis arrivé dans le monde universitaire plus tard dans ma vie et cela a été intéressant de réfléchir à l’éthique, la manière dont nous travaillons les uns avec les autres, et aux processus extractifs auxquels j’ai participé et que je ne veux pas répliquer. Je fais constamment un pas en avant et deux pas en arrière.
- Victoria May
Regardez le panel complet du symposium annuel IFRC 2025, avec les étudiant.e.s boursiers.
Les applications CELFIS sont ouvertes!
Le Bureau de l'engagement communautaire accepte actuellement for les Fonds d’apprentissage communautaire pour étudiant·es autochtones, jusqu'au 4 avril 2025. Les étudiant.e.s autochtones peuvent recevoir $6000 pour soutenir leur recherche.
