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Quatre choses que nous avons apprises sur le conflit

Par Lena Andres

SHIFT participant hangs up notes

Le 11 septembre 2024, le Centre SHIFT a accueilli les conférenciers Phillipe Koffi, Gabriela Gomez et Dominic Barter à l’occasion d’une table ronde sur les moyens à prendre pour répondre aux conflits au sein des communautés formelles et informelles. Nos intervenantes et intervenants possèdent une expertise en médiation ainsi que dans les domaines des réponses aux conflits intracommunautaires et de la somatique. Nous avons invité les personnes participantes à nous faire part de ce qu’elles avaient retenu de l’échange, puis avons décidé de faire de même!

Voici donc quelques-unes des leçons tirées de la rencontre qui nous tiennent particulièrement à cœur :

1. Il existe trois types de conflits, qui sont en interaction les uns avec les autres.

Les conflits internes sont ceux qui nous habitent sur le plan individuel : ils nécessitent que nous effectuions un travail sur nous-mêmes avant de pouvoir aborder les conflits avec autrui de façon saine. Les conflits relationnels sont des conflits interpersonnels qui peuvent opposer deux personnes ou encore les membres de groupes ou de communautés à petite échelle. Les conflits sociétaux sévissent à plus grande échelle : il s’agit des injustices globales et des enjeux sociaux contre lesquels nous tentons de nous mobiliser.

Étroitement liés et indivisibles, ces trois types de conflits doivent être compris comme un « tout » dont l’ensemble des composants sont soudés et s’inscrivent dans un processus de transformation sociale. La gestion attentive et responsable des conflits dans une perspective de changement systémique part de l’intérieur : il faut miser sur une attitude empreinte d’humilité et d’empathie, de concert avec les membres de nos communautés proches puis, finalement, avec ceux des mouvements plus larges.

Les changements sociétaux surviennent souvent lorsque personne ne les avait vus venir. Par exemple, les nouvelles tendances musicales semblent toujours émerger de poches de la société auxquelles personne ne portait attention, avant d’acquérir une popularité généralisée.

2. La résolution des conflits n’est pas une compétence à acquérir, mais un héritage communautaire qu’il nous faut redécouvrir.

Lorsque nous faisons face à une menace, nous perdons le contact avec les parties de notre cerveau qui nous permettent de gérer sainement les conflits. Pour interagir utilement dans le cadre d’un conflit, il nous faut plutôt puiser dans notre capacité (parfois inhibée) à éprouver et à exprimer de l’empathie : notre capacité et notre désir humains innés à faire preuve de bienveillance envers les autres et à demander la même chose en retour.

La redécouverte de cette aptitude héritée de nos communautés à résoudre les conflits nous incite à nous poser la question suivante : quel est l’obstacle qui m’empêche de faire preuve d’empathie à l’égard de la personne avec laquelle je suis en conflit, et comment puis-je déterminer la nature de cet obstacle? Il est essentiel de trouver cette pièce manquante pour être en mesure d’aborder les conflits avec bienveillance.

Lorsqu’un conflit prend une certaine ampleur, on peut être tenté de violer l’espace d’autrui pour se faire entendre. En cultivant notre propre capacité à nous ancrer dans le moment présent par le recours à différentes pratiques somatiques (comme prendre une pause sacrée ou se concentrer sur notre respiration), nous devenons plus disponibles et mieux en mesure de nous écouter les uns les autres avec plus d’attention et de communiquer avec générosité.

3. Le conflit signale une possibilité de changement : accueillez-le et laissez-le suivre son cours.

Participants in a SHIFT workshop

Les milieux communautaires sont des environnements chargés d’émotions où des personnes passionnées se heurtent à des systèmes qui, le plus souvent, s’opposent activement à elles. Il s’agit d’un travail intrinsèquement conflictuel où des différends surviennent inévitablement au sein des équipes, et où les ressources pour les régler manquent cruellement; or, travailler en faisant face aux conflits signifie œuvrer de concert avec le changement et en faveur de celui-ci.

Apprendre à s’intéresser à ce que le conflit pourrait nous enseigner, et lui permettre de suivre son cours et de se déployer jusqu’au bout en favorisant les conversations de fond au sein des équipes sont autant de choix qui contribuent à créer les conditions pour que le conflit devienne une expérience transformatrice propice aux rapprochements plutôt qu’au repli sur soi.

4. La peur du conflit contribue à maintenir en place les systèmes que nous essayons de démanteler

Participants at a SHIFT workshop

Si nous avons la profonde certitude qu’un monde meilleur est chose possible, pourquoi fuyons-nous les conflits qui surviennent dans les espaces où nous travaillons en faveur de la justice sociale? La peur du conflit peut être attribuable à l’intériorisation de systèmes oppressifs tels que le colonialisme et la suprématie blanche. Ces systèmes sont sournois et tentent de nous convaincre que le statu quo devrait être éternel. En remettant cette croyance en question, nous nous donnons la possibilité de regarder le conflit en face et ouvrons la voie à d’autres façons d’être.

En considérant et en accueillant le conflit comme un aspect nécessaire du processus de changement, nous pouvons devenir des agents de transformation sociale. Plutôt que de confier la responsabilité de la gestion des conflits aux politiciens, au « système de justice » ou à d’autres acteurs qui ne sont pas personnellement investis dans nos communautés, nous pouvons nous-mêmes assumer la tâche personnelle et politique du travail de guérison. Lorsque nous nous donnons les moyens, à nous et aux personnes qui nous entourent, de prendre la responsabilité de la résolution des conflits, nous contribuons au renforcement de l’agentivité et du pouvoir des mouvements populaires en faisant nôtre le caractère intrinsèquement honnête et en constante évolution des relations entre les êtres et le monde.

SHIFT participants gather at a workshop

Les réflexions des conférenciers ont inspiré les personnes participantes, suscité la curiosité et favorisé l’introspection. Comme si des semences d’autonomie avaient été irriguées par ces propos, les personnes présentes se sont senties fortifiées par ce rappel que la capacité à accueillir le conflit avec compassion fait intrinsèquement partie de l’expérience humaine.

Faire face au conflit au lieu de le fuir est une entreprise considérable, qui exige une présence ancrée, de l’empathie et la capacité de voir des situations parfois inconfortables comme des expériences importantes qui méritent qu’on s’y intéresse et qu’on y travaille.

La redécouverte de notre héritage communautaire n’est pas une démarche facile, mais c’est en nous engageant à consentir cet effort que nous pourrons assumer collectivement la responsabilité de composer avec les complexités des conflits intracommunautaires, en mettant la bienveillance et la justice au centre du processus.

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Lena Andres étudie géographie et en études sur la sexualité à l'Université Concordia. Lena est originaire de Winnipeg, dans le territoire du Traité 1. Lena s'intéresse aux pratiques de deuil et de commémoration dans les cercles d'organisation communautaire, et à la façon dont l'expression des conflits permet d'approfondir les relations et de s'engager dans une politique de justice réparatrice. 

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