Andrea Clarke est consultante dans le secteur social et coach exécutif. Au cours de la dernière décennie, elle a occupé plusieurs postes de direction, notamment en tant que directrice générale de la Fondation Lucie et André Chagnon, directrice principale de l'engagement communautaire et de l'impact social à l'Université Concordia et directrice générale d'À Deux Mains/Head & Hands. Andrea est membre du conseil d'administration de la Fondation du Grand Montréal et siège à plusieurs autres comités de coordination, de conseil et d'évaluation. Elle est titulaire d'une licence en biologie, d'une maîtrise en biochimie et d'un MBA de l'Université Concordia, et envisage actuellement de poursuivre ses études supérieures.
Que peut apprendre le milieu universitaire de modèles tels que celui du Centre SHIFT?
par Andrea Clarke
Au cours de l’année 2020-2021, la Fondation McConnell a réuni près de 30 rectrices et recteurs qui ont pris part à des discussions en vue de cerner le rôle des universités canadiennes dans la société. Ensemble, le groupe a défini 14 rôles croisés d’agents de changement qui pourraient contribuer à « créer un monde résilient, équitable et faible en carbone, pour les générations actuelles et futures, en compagnie et au profit des membres de leurs corps étudiants et de leurs communautés »; cet objectif louable est d’ailleurs compatible avec la mission des universités en tant qu’établissements voués à la production et à la transmission du savoir.
Malgré le rôle important que les universités ont joué et continuent de jouer au sein de la société canadienne, il nous faut également convenir que les institutions, y compris les universités, n’inspirent plus le même degré de confiance qu’auparavant. Ana Mari Cauce, Ph. D., rectrice de l’Université de Washington, a formulé ce constat plus tôt cette année dans le cadre de ses réflexions sur le fait que les futurs universitaires ainsi que la communauté dans son ensemble remettent en question la pertinence de l’enseignement supérieur .
La rectrice a souligné l’importance de penser « des approches qui ne soient ni uniquement descendantes, ni uniquement ascendantes », faisant ainsi référence à une tension avec laquelle de nombreuses organisations doivent composer. L’argument en faveur d’une approche descendante est presque toujours celui de la rapidité d’exécution, mais si cette approche est plus pratique à mettre en œuvre au départ, elle échoue souvent à inspirer un engagement commun à mener les processus à bien. Les approches ascendantes sont par nature émergentes et suscitent une plus grande adhésion, mais elles manquent souvent de ressources à mesure qu’elles sollicitent des paliers hiérarchiques successifs.
Plutôt que de chercher à établir un équilibre dans la direction de l’approche à adopter, il est possible de réorienter complètement le paradigme. Si, au lieu d’aborder l’enjeu en termes de verticalité et de pouvoir, nous l’envisagions plutôt sous l’angle de l’horizontalité et de la connexion, la question du haut vers le bas ou du bas vers le haut pourrait être comprise comme faisant référence à la qualité et à la proximité des relations. L’approche descendante pourrait alors être décrite comme une interaction où les relations sont faibles ou inexistantes, qui donne lieu à des situations où il est au mieux difficile de faire avancer les projets, les parties concernées ayant le sentiment que leurs besoins et leurs points de vue ne sont pas pris en compte; les décisions sont prises à distance. À l’inverse, une plus grande proximité permet une meilleure compréhension des réalités qui peuvent et doivent influer sur les décisions et les processus, et génère un désir de rendre des comptes et d’agir en fonction de cette compréhension.
Les enseignements du modèle adopté par le Centre SHIFT
Dès le départ, le Centre SHIFT a cherché à intégrer les suggestions d’une multitude d’acteurs au cours du processus de conception et de déploiement de l’unité. Au fil du temps, cet engagement à maintenir une attitude d’ouverture envers ses communautés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Université, a conduit au développement et au perfectionnement de façons d’être et de travailler propres à instaurer la confiance, et axées sur la responsabilité et la transparence. Bien qu’il exerce ses activités au sein d’un établissement doté d’une structure hiérarchique, le Centre SHIFT a été en mesure de mettre en place des pratiques de gouvernance qui donnent la priorité au leadership partagé et à la diversité des voix s’exprimant dans son écosystème, afin de favoriser la reddition de comptes.
L’ouverture à la critique et aux commentaires, que ceux-ci soient formulés par des collaborateurs proches ou des groupes qui viennent d’entreprendre (ou de conclure) une démarche de partenariat, constitue un aspect de cet engagement envers la reddition de comptes. Les commentaires ne sont pas toujours faciles à recevoir, et il peut sembler stratégiquement imprudent pour un acteur institutionnel d’en tenir compte ou d’y répondre. Pourtant, sans cette ouverture, rien n’inciterait les partenaires à faire profiter les autres de leur expertise ou à devenir des participants à part entière s’il a été clairement démontré que leurs points de vue ne sont pas entendus. Le pouvoir est un facteur qui compte dans le travail réalisé avec la communauté par les membres du personnel, du corps professoral et de l’effectif étudiant de l’Université – en tant que représentants, officiels ou non, d’une institution –, qu’il soit vu sous l’angle de la verticalité ou de l’horizontalité. Les relations se tissent et se renforcent, ou s’étiolent et prennent fin en partie en fonction de la manière dont les partenaires vivent les dynamiques de pouvoir et dont le pouvoir est exercé, intentionnellement ou non.
Un exemple fréquent de ces dynamiques est la manière dont les apprentissages et les réussites des partenaires sont souvent décrits comme étant ceux de l’établissement. Il peut paraître facile de présenter la mise à disposition de ressources (financement, soutien à la recherche, accès aux locaux, etc.) comme la force motrice d’une réussite, alors qu’il s’agit en fait d’un facteur facilitant ou légitimant (aux yeux des institutions) le travail et les initiatives transformatrices d’autres personnes sans qui cette réussite n’aurait jamais pu être imaginée, et encore moins réalisée.
Il importe donc qu’en tant qu’acteurs institutionnels, nous développions notre conscience de nous-mêmes et notre sens de l’autocritique. Il ne suffit pas de déclarer que nous sommes bien intentionnés pour échapper aux critiques qui nous sont adressées, et le fait de qualifier une situation de complexe ou de compliquée ne nous dispense pas de la responsabilité de l’examiner en profondeur. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette complexité? S’agit-il de complexité ou de complaisance? Plus important encore, qui est lésé parce que certaines préoccupations n’ont pas été prises en compte?
Le Centre SHIFT a eu le privilège d’apprendre et de grandir avec sa communauté, qui a généreusement donné de son temps et de son énergie, en plus de porter un regard critique sur le travail accompli à l’intérieur comme à l’extérieur des murs de l’unité. Microcosme de l’Université elle-même, le Centre SHIFT a dû et doit encore composer avec ce qu’implique le fait d’œuvrer pour la transformation sociale tout en faisant partie d’une université canadienne traversée par toutes les frictions, les tensions et les dynamiques de pouvoir inhérentes à ses fonctions. En fin de compte, la conviction partagée de l’importance de tirer parti des ressources de l’Université – qu’elles soient matérielles, financières ou réputationnelles – pour bâtir une société équitable, juste et durable, ne peut se concrétiser que par un engagement sincère en faveur de l’établissement de relations, du partage du pouvoir et de la responsabilisation.