Skip to main content

Au-delà de l'horizontalité : les avantages d’une gouvernance dynamique

par Kristen Young

Que nous les ayons choisis collectivement en toute connaissance de cause, ou que nous n’en prenions conscience que lorsqu’ils entravent le déroulement de nos projets, les accords, structures et processus ‒ implicites ou explicites ‒ qui régissent nos interactions au sein de divers organismes ont une incidence directe sur ce que nous sommes en mesure d’accomplir ensemble. Reconnaître l’effet de ces structures nous rend collectivement responsables de bien les comprendre et de les faire correspondre aux transformations que nous cherchons à réaliser. À Montréal ‒ une ville comptant une forte population étudiante et une longue histoire de luttes contre les injustices sociales ‒, ces changements découlent souvent d’efforts concertés de la part de groupes épris de progrès.

 

Afin de ne pas recréer les systèmes contre lesquels nous luttons, notre premier réflexe, lorsqu’il est nécessaire de travailler en groupe, est bien souvent de nous tourner vers un « collectif », soit un modèle de gouvernance non hiérarchisé fondé sur le partage du pouvoir et sur une prise de décisions collective. Ce système de gouvernance alternatif offre des possibilités de collaboration fondées sur des valeurs partagées, et il soutient la justice sociale et le travail communautaire par la mise en commun des moyens et des motivations. Or, il existe aussi un modèle méconnu, que nous appelons au Centre SHIFT la « gouvernance dynamique pour un pouvoir partagé », et qui est en fait un mode de gouvernance sociocratique proposant une autre manière, vraisemblablement plus efficace, de rallier des gens autour d’un objectif commun.

Ce système de gouvernance alternatif offre des possibilités de collaboration fondées sur des valeurs partagées, et il soutient la justice sociale et le travail communautaire par la mise en commun des moyens et des motivations.

Gouvernance horizontale et sociocratie

Tout comme les collectifs, les organismes dotés d’une gouvernance horizontale s’efforcent de supprimer toute hiérarchie interne en déléguant les responsabilités et les tâches de supervision aux personnes concernées. Dans ce type de structure, il n’y a pas de gestionnaire qui dirige d’autres personnes ou qui supervise le travail à faire, car ce rôle incombe à chacun. Dialogue, assentiment, collaboration, délégation et suivis réguliers sont utilisés pour partager le pouvoir, l’autorité et les responsabilités normalement dévolus à des gestionnaires, ce qui fait en sorte que personne n’a un rang plus élevé ou n’assume plus de responsabilités au sein de la structure.

En raison du modèle de gouvernance dynamique qu’il utilise, le Centre SHIFT place également l’établissement de liens, l’écoute et la création collective au cœur de ses méthodes de travail, ce qui n’interdit pas la création intentionnelle et consensuelle de hiérarchies, la délégation de responsabilités et la spécialisation des rôles et des groupes.

La structure de gouvernance dynamique du Centre SHIFT s’inspire fortement de la documentation sur l’apprentissage collectif de modèles de gouvernance sociocratique.  

Graphique adapté de Better Boards : https://betterboards.net/glossary/sociocracy/

On peut voir la sociocratie comme un ensemble de cercles concentriques dans lequel la circulation des connaissances est assurée par des membres qui font le lien entre les cercles. Chaque cercle se voit confier la direction d’une partie de la mission collective, et le travail de chaque cercle fait avancer l’ensemble de la mission. 

D’après mon expérience des structures horizontales, il n’est pas aisé de mener à bien la mission d’un organisme tout en mettant en place et en entretenant une structure collective, car il faut du temps, du travail et un dialogue constant pour maîtriser tous les aspects de la collaboration. Il existe malheureusement de nombreux exemples de groupes ayant tenté de mettre en place une structure de gouvernance horizontale et qui ont semblé y être parvenus jusqu’à ce qu’ils soient confrontés à des problèmes latents et récurrents qu’ils n’ont pas pu traiter avec toute la diligence souhaitée par les personnes concernées. Bien qu’il puisse sembler logique et tout naturel pour eux de mutualiser l’organisation de leurs activités, les groupes qui s’efforcent de fonctionner collectivement ou d’implanter une gouvernance horizontale ne peuvent pas tenir pour acquis que leur organisme fonctionnera indéfiniment de manière harmonieuse et efficace. En fait, ils doivent veiller à la bonne marche de leurs processus internes tout autant qu’à l’accomplissement de leur mission. Dans un modèle de gouvernance horizontale, on ne trouve pas de leader et, en théorie, le pouvoir est dévolu à tous les membres du groupe. Cependant, pour qu’une telle structure permette de réaliser l’idéal d’un sentiment partagé d’autorité, d’appropriation et de leadership par rapport à la mission, il faut s’efforcer de bien communiquer et d’élaborer de sains processus collectifs de prise de décision. 

En revanche, la gouvernance dynamique et sociocratique donne de la souplesse, favorise la cohésion et permet d’établir le niveau de confiance qui est nécessaire au partage du pouvoir tout en correspondant aux valeurs qui animent les collectifs et les groupes ayant opté pour une structure de gouvernance horizontale. Ces groupes travaillent collectivement au maintien de leur structure de gouvernance tout en utilisant celle-ci pour faire progresser la mission de l’organisme. La sociocratie enrichit la gouvernance horizontale en y ajoutant les aspects d’autoréflexion et de délégation consensuelle du pouvoir. Parce qu’il est ancré dans un cadre qui préconise le dynamisme, le système acquiert une qualité évolutive nous rappelant que le fait d’apporter des changements et de construire le système au fur et à mesure est essentiel à la durabilité des structures nouvelles et émergentes. Les structures s’élaborant et s’affinant à mesure que grandit la confiance, les systèmes sociocratiques permettent de nouer des liens solides, de prendre des décisions éclairées et de développer une cohésion sociale au sein de l’organisme.

La gouvernance dynamique au Centre SHIFT

La gouvernance dynamique fait partie intégrante du cadre de travail du Centre SHIFT pour la transformation sociale. Le comité directeur et les différents pôles responsables des grands aspects du travail du Centre SHIFT sont composés de membres issus du Centre lui-même et du milieu montréalais, ces personnes étant recrutées d’après leurs centres d’intérêt et leur expérience. Véritable modèle d’organisation sociocratique, toute la structure du Centre SHIFT s’articule autour d’une équipe d’employés qui appuient le travail de chacun des pôles et jouent le rôle d’agents de liaison. En outre, la structure fait l’objet d’un examen constant pour déterminer non seulement ce qu’elle devrait être, mais comment elle se présente dans les faits. Le mandat du pôle Gouvernance est ainsi de relever les lacunes structurelles et de trouver des façons pour y remédier qui permettent à tous les membres actifs de l’écosystème du Centre SHIFT d’être au diapason et d’avoir les moyens d’agir. 

Le fait que le Centre SHIFT est intégré à l’Université Concordia ajoute une dimension structurelle additionnelle. En effet, au lieu de se concentrer sur les aspects scolaires ou institutionnels, comme le font habituellement les universités, le Centre SHIFT s’efforce de faire entendre les préoccupations et les priorités des citoyennes et citoyens. En raison de sa nature, notre gouvernance dynamique facilite les interactions et crée un espace communautaire où les idées circulent et enrichissent tant l’Université que le grand Montréal d’une manière qui échappe aux traditions coloniales dont sont issus les programmes d’études et la structure des facultés. Et ce n’est là qu’une des retombées positives apportées par la communauté qui a vu le jour grâce à cet espace servant à tisser des liens. 

Mentionnons à cet effet la réflexion « rester ou partir » qui est inhérente à notre modèle de gouvernance. Une fois par année, notre comité directeur tient une réunion pour déterminer qui sont les personnes qui quitteront le comité et quelles sont celles dont le mandat sera renouvelé. Au cours de ces réunions, les membres sont encouragés à réfléchir individuellement et collectivement aux besoins et aux lacunes observés dans le comité et à prendre en compte leur désir de s’engager ou non afin d’orienter leurs décisions. Lors de la plus récente réflexion « rester ou partir », il est ainsi devenu évident que les membres du corps professoral et du personnel de Concordia étaient surreprésentés au sein du comité. Plusieurs de ces personnes ont alors pris la décision de partir afin de corriger la situation, de rétablir un équilibre entre les membres de l’Université et ceux issus du milieu et de donner la possibilité au Centre SHIFT de recruter de nouvelles personnes pour continuer à progresser l’année suivante. 

Tous les modèles de gouvernance comportent des lacunes et des aspects perfectibles. En fait, comme il s’agit de systèmes qui reposent sur des gens qui apprennent sur le tas, il est inévitable que des erreurs surviennent. Mon expérience au Centre SHIFT m’a permis de constater que les modèles dynamiques suscitent la communication et la réflexion et qu’ils sont de ce fait d’intéressantes formes de gouvernance reposant sur la répartition du pouvoir et la collaboration. Le Centre SHIFT met en pratique des principes sociocratiques pour intégrer des acteurs communautaires dans l’Université et pour prendre en compte les priorités du milieu, ce qui en fait un modèle pour d’autres organismes souhaitant mettre en œuvre une structure similaire. 

Capture d'écran de la gouvernance explorable « Kumu » de SHIFT

Kristen Young est coordonnatrice de l'engagement de la communauté noire au Bureau de l'engagement communautaire de l'Université Concordia. Elle est également archiviste et son travail dans les archives de la communauté noire l'a amenée à s'intéresser à l'impact de la santé mentale sur l'histoire des Noirs et sur les espaces communautaires noirs. Enfant de la troisième culture et profondément intéressée par l'application du principe de sankofa au quotidien, Kristen utilise sa formation d'archiviste et son intérêt pour la gouvernance, la collaboration, les soins communautaires et l'éducation communautaire dans les nombreux chapeaux qu'elle porte, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. 

Retour en haut de page

© Université Concordia