La professeure de Concordia Joana Joachim retrace des décennies de pics et de creux dans la visibilité de l’art canadien noir
Les contributions de la communauté noire à la société canadienne élargie se sont heurtées à des actes d’effacement dès le début de la présence de personnes noires sur le territoire connu sous le nom de Canada. C’est en particulier le cas dans le monde des arts, où l’intérêt pour les œuvres de Canadiennes et Canadiens noirs n’est que périodiquement examiné ou apprécié par le milieu élargi de l’art canadien.
On retrouve ainsi, quoique de façon intermittente, de précieux documents et évaluations critiques liés à l’art canadien noir, dont la plupart se trouvent dans la collection d’Artexte. À la fois bibliothèque, centre de recherche et espace d’exposition près du Quartier des spectacles, au centre-ville de Montréal, cette collection regroupe plus de 30 000 documents remontant jusqu’à 1965 sur les arts visuels, et notamment sur l’art québécois et canadien. Ces archives sont à la base de l’exposition Blackity, commissariée par Joana Joachim, professeure adjointe en étude des Noirs spécialisée en histoire de l’art, en éducation artistique et en justice sociale.
Comme l’explique la professeure Joachim, l’exposition recourt aux archives pour offrir une vue d’ensemble du paysage de l’art canadien noir du début des années 1970 à aujourd’hui : qu’est-ce qui a été consigné durant les périodes d’attention accrue et, tout aussi important, qu’est-ce qui ne l’a pas été?
« Il y a tant d’aspects que nous ne voyons pas, ajoute-t-elle. Quand on trouve quelque chose sur un artiste, les données indiquent clairement qu’il manque tout un contexte, celui-ci n’ayant pas été consigné ou préservé dans les archives. »
Des œuvres qui existent hors des tendances
L’exposition en soi consiste en un recueil éclectique de rapports, d’écrits et de documents éphémères comme des cartes postales et des affiches ainsi que des revues, des monographies et des livres.
« Tous les documents sont des traces de l’existence d’artistes noirs qui ont travaillé, ou de personnes qui ont écrit à leur sujet, note la professeure. J’ai essayé de brosser le portrait de la situation en remontant le plus loin que me le permettent les archives, afin de saisir qui faisait quoi, qui écrivait quoi, et qui exposait quoi dans diverses régions du pays. »
Les documents révèlent ce que Joana Joachim appelle les « crues et décrues de l’intérêt pour l’art canadien noir du point de vue des établissements », ou encore ces « petites anomalies temporelles » – phrase empruntée à la commissaire et chercheuse canadienne Andrea Fatona pour décrire les moments où la diversité est célébrée et où les œuvres des artistes noirs sont mises en lumière.
« Durant ces périodes, c’est comme s’il y avait eu un essor dans la production culturelle, mais en réalité, ce n’est pas tant qu’il y avait une plus grande quantité d’art ou un plus grand nombre d’artistes plus prolifiques. Il y avait juste davantage de visibilité », souligne Mme Joachim.
La professeure n’a pas oublié les artistes dont les œuvres ont été ignorées. Pour accompagner l’exposition physique, elle a ainsi conçu un volet complémentaire en ligne composé d’annotations ainsi que de liens et de vidéos supplémentaires qui dirigent le public en dehors de la collection d’Artexte. « Ce complément comble le fossé et montre d’autres projets et productions culturelles qui ont existé, mais qui n’ont pas été consignés dans les archives. Je l’ai créé pour que les gens commencent à fouiller et à retrouver ces œuvres, de même qu’à les voir d’un point de vue critique. »
Rester sous les projecteurs
Joana Joachim a conscience qu’on se trouve dans une période d’intérêt renouvelé pour la production culturelle de la communauté noire, stimulée en partie par la tragédie du meurtre de George Floyd, en 2020. Elle espère cependant que cette fois-ci, l’intérêt durera plus longtemps qu’un clic, avant le retour du statu quo.
« J’espère que mes collègues et mes pairs du milieu des arts garderont le même niveau d’énergie, d’attention et de dynamisme qu’en 2020. J’espère aussi que les établissements culturels de l’île de la Tortue et du territoire qu’on appelle Canada maintiendront tout particulièrement leur position de solidarité déclarée à l’égard des personnes noires. »
Visitez le site Web de l’exposition Blackity : https://artexte.ca/exposition/blackity/?noredirect=fr_CA.