Les projets de domination totale de Disney sont en bonne voie, selon un doctorant de l’Université Concordia
Ce géant culturel et économique qu’est la Walt Disney Company s’est imposé dans l’inconscient collectif et ne montre aucun signe d’essoufflement. Sa stratégie repose sur une combinaison judicieuse et habile de marketing prudent, d’acquisitions de marques, de positionnement numérique sous forme de service de diffusion en continu Disney+ et de contenus indéniablement populaires. Aujourd’hui, la Walt Disney Company est prête à étendre sa domination à l’avenir, un avenir qu’elle veut définir au moyen de sa propre marque de magie Disney. C’est ce qu’affirme Jake Pitre, un étudiant au doctorat en études cinématographiques et images en mouvement à l’École de cinéma Mel-Hoppenheim.
Dans un article publié dans la revue Television & New Media, Jake Pitre examine la stratégie employée par Disney, qu’il appelle brand futurity (« futurité de marque »). Il avance que cette stratégie donne le sentiment d’une domination culturelle inévitable, permanente et totale de la part de Disney, peaufinée par sa marque de fabrique : la joie et l’émerveillement.
« La futurité de marque » est une façon de comprendre comment les marques se positionnent à l’ère du numérique et de l’hyper financiarisation. On attend d’elles qu’elles parlent constamment de profits et de revenus futurs, mais également qu’elles se positionnent comme le modèle d’avenir moral et économique de leur industrie », explique-t-il.
Histoire de souris
Selon lui, Disney s’est arrogé le rôle d’arbitre d’un meilleur avenir moral et économique, que nous le voulions ou non. Disney veut que le public la considère en fait comme l’unique choix acceptable pour assumer cette responsabilité. Et avec Disney+, l’entreprise peut renforcer son argument consistant à dire qu’elle est la seule société médiatique capable d’associer son vaste catalogue de films et d’émissions de télévision à de nouvelles propriétés et technologies. Elle peut ainsi vendre au public une vision qui est cohérente avec son héritage.
C’est dans la série de courts métrages documentaires Une journée à Disney, accessible depuis son service de diffusion en continu, que cela apparaît le plus clairement. La série suit l’éventail diversifié d’employés – ou « membres de la distribution » comme Disney les appelle – qui travaillent pour la Walt Disney Company. Sans surprise, l’ensemble des personnes apparaissant à l’écran font l’éloge de la société comme étant un lieu où la créativité est encouragée et la diversité célébrée. La série ne fait pas mention des allégations d’abus sur le lieu de travail révélées par des organisations médiatiques comme The Nation et dénoncées par la petite-nièce de Walt, Abigail Disney, notamment la stagnation des salaires malgré des bénéfices records et le recours à des ateliers clandestins dans le Sud.
« Je ne sais pas quelle est la popularité de ces courts métrages ni combien de personnes les regardent », déclare Jake Pitre. « Il s’agit plutôt de les utiliser comme un outil pour comprendre comment Disney se perçoit à l’ère de la diffusion en continu, comment elle crée ce récit à propos de cet héritage dont elle doit s’inspirer, comment elle se définit dans le présent et ce qu’elle affirme sur l’avenir probable des médias. »
Jake Pitre souligne qu’il n’est pas spécialement anti-Disney. Il apprécie ses contenus. Il critique plutôt la façon dont la société utilise son réservoir de bonne volonté populaire comme « d’un élan moral et économique afin de dire que nous devrions simplement lui faire confiance pour définir ce que l’avenir des médias ».
La critique de Disney par Jake Pitre ne constitue qu’une partie des recherches qu’il mène dans le cadre de sa thèse sur la façon dont les sociétés technologiques élaborent des récits quant à l’avenir afin d’influer sur la façon dont la société l’envisage collectivement.
« Ma thèse est anticapitaliste, mais pro-espoir », affirme-t-il. « J’essaye d’imaginer à quoi pourraient ressembler d’autres avenirs. À quoi pourrait ressembler un avenir plus équitable et durable pour les médias si nous ne devions pas compter sur une seule société pour tout nous fournir? »
Lisez l’article cité (en anglais) : « The Magical Work of Brand Futurity: The Mythmaking of Disney+. »