Hone Mandefro Belaye, chercheur engagé de l’Université Concordia, jette un éclairage sur les changements touchant le tissu social d’une ville dans un contexte de croissance urbaine accélérée
Les projets de développement urbain transforment rapidement l’environnement physique de la ville d’Addis-Abeba, en Éthiopie, et ont une incidence sur la vie sociale des personnes qui y vivent. Voilà le sujet des recherches doctorales menées par Hone Mandefro Belaye, chercheur engagé de Concordia.
Le candidat au doctorat en analyse sociale et culturelle étudie l’évolution et la continuité des rapports entre voisins à Addis-Abeba à mesure que les espaces de vie des résidants se transforment, passant de maisons d’un étage à des tours de copropriétés.
Ces transformations urbaines sont le fruit du programme de développement résidentiel intégré du gouvernement éthiopien, qui prévoit l’éradication des quartiers pauvres et leur remplacement par des tours d’habitation. Le programme, qui a été conçu pour fournir des logements abordables aux populations à faible et moyen revenu, consiste à attribuer des unités de logements subventionnés au moyen d’un système de loterie. M. Belaye estime que depuis dix ans, le programme gouvernemental de développement résidentiel intégré est à l’origine de plus de 50 % de l’offre de nouveaux logements.
L’hémisphère sud est le théâtre de changements urbains rapides, ajoute Hone Mandefro Belaye, qui abordera cette question lors d’une table ronde qui aura lieu le 2 février prochain. Le public pourra assister à la rencontre en personne à ESPACE 4 ou suivre les discussions en ligne.
Les travaux de M. Belaye sont financés par une bourse Vanier du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) ainsi que par une bourse internationale Wadsworth de la Fondation Wenner-Gren Foundation et l’Université Concordia.
« Il ne s’agit pas seulement de construire des maisons, il faut aussi bâtir des communautés. »
Comment avez-vous procédé pour mener vos recherches?
Hone Mandefro Belaye : J’ai examiné un quartier particulier d’Addis-Ababa, aménagé il y a dix ans. Une décennie plus tard, comment les gens décrivent-ils leur expérience de vie dans ce quartier émergent? Je me suis intéressé aux relations entre voisins ainsi qu’aux rapports entre les habitants et l’administration locale et leur nouveau milieu de vie. J’ai vécu dans le quartier pendant six mois. J’y ai recueilli des données qualitatives au moyen d’entrevues et de groupes de discussion et en observant les personnes participantes.
Quelles sont vos constats, jusqu’ici?
HMB : J’ai fait un certain nombre d’observations initiales. Premièrement, bon nombre de personnes apprécient la qualité des nouvelles maisons. Désormais logées dans des immeubles en copropriété, elles vivaient auparavant dans ce qu’on appelle des bidonvilles, qui sont très densément peuplés, et elles n’avaient pas accès à des installations sanitaires privées. Aujourd’hui, ces personnes ont une salle de bain, une cuisine et l’eau courante, tout cela dans leur propre appartement. Elles bénéficient donc d’une plus grande intimité.
Il existe toutefois un écart problématique entre les promesses et la réalité. Par exemple, même si les logements sont censés avoir l’eau courante, des interruptions de service pouvant durer plusieurs semaines sont souvent à déplorer. L’eau n’est donc pas toujours accessible, mais au moins, les gens n’ont pas besoin de parcourir de grandes distances pour aller la chercher.
Deuxièmement, j’ai constaté que nombre de résidents du quartier avaient le sentiment d’avoir perdu la communauté au sein de laquelle ils vivaient auparavant. Dans les anciens quartiers, de nombreuses installations étaient utilisées en commun, et même les habitations étaient souvent partagées, ce qui donnait lieu à moult interactions. Les gens savaient qui étaient leurs voisins, et la communauté était très soudée. Aujourd’hui, pour connaître ses voisins, il faut en avoir réellement la volonté.
Troisièmement, des clivages sont apparus dans la communauté. Même si les gens vivent ensemble dans le même quartier, leurs expériences varient en fonction de différents facteurs, notamment s’ils sont propriétaires ou locataires. Les propriétaires sont souvent membres des comités de quartier et peuvent prendre d’importantes décisions au sujet des enjeux touchant la collectivité, tandis que les locataires demeurent à l’écart de ces discussions. Les locataires ont un pouvoir limité dans le quartier et ont tendance à moins s’y investir.
Cependant, j’ai également constaté que les femmes ont tendance à participer à la plupart des activités de voisinage et à être plus actives au sein de ces nouvelles communautés. Le patriarcat demeure intact, mais les femmes exercent plus de pouvoir qu’auparavant dans les affaires du quartier, surtout si elles sont propriétaires. Elles participent plus fréquemment aux rencontres communautaires et, dans certains cas, jouent un rôle très important dans l’élaboration des stratégies.
Que comptez-vous accomplir grâce à vos recherches?
HMB : J’espère que les discussions sur l’abordabilité du logement iront dorénavant de pair avec la nécessité de bâtir des communautés. Le logement n’est pas une simple question d’habitation et d’espace de vie. Notre conception du logement en dit long sur notre vision des rapports entre les gens, qu’il s’agisse des relations entre les membres d’une même maisonnée ou avec les gens du voisinage.
Il ne s’agit pas seulement de construire des maisons, il faut aussi bâtir des communautés. Au bout du compte, c’est cette approche qui rend la société meilleure. Et pour qu’une communauté existe, il faut s’employer à la construire.
Apprenez-en davantage sur le Programme des chercheuses et chercheurs engagés de l’Université Concordia.
Assistez à la table ronde Housing in the Global South: Trends and Global Implications en personne à ESPACE 4 (1400, boul. De Maisonneuve O.) ou suivez les discussions en ligne, le 2 février prochain de 10 h à midi.