Les compagnies aériennes déficitaires et mal gérées subissent plus d’accidents, selon une nouvelle étude de l’Université Concordia
L’aviation commerciale n’est pas pour les cœurs sensibles. En plus d’offrir des marges souvent minces, elle est vulnérable aux crises externes, comme la pandémie de COVID-19 ou la fluctuation du prix de l’essence. Sans compter que les accidents d’avion frappent l’imagination du public, que ce soit justifié ou non.
Le secteur de l’aviation est aussi soumis à une réglementation particulièrement contraignante, qui comprend des normes strictes régissant la formation, la maintenance et l’équipement. Les compagnies aériennes doivent faire de la sécurité des passagers une priorité, sans quoi le pire peut survenir.
Les auteurs d’une nouvelle étude sur la gouvernance d’entreprise et la sécurité aérienne, parue dans la revue Aircraft Engineering and Aerospace Technology, établissent un lien clair entre la santé financière et la gestion des compagnies aériennes et le risque que leurs aéronefs subissent un accident. Même si la majorité des accidents sont attribués à une erreur de pilotage, les chercheurs soutiennent que la faute remonte souvent jusqu’au conseil d’administration.
« Nous avons constaté que les compagnies pauvres en liquidités, moins rentables et mal gérées investissent moins en sécurité et affichent donc un taux accru d’accidents », affirme Thomas Walker, professeur de finance à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia et coauteur de l’étude.
« Les gouvernements sont très stricts sur la maintenance, mais les compagnies ont une marge de manœuvre concernant la durée de vie de leurs aéronefs, les efforts investis dans la formation des pilotes et la qualité des pilotes qu’elles embauchent. Il existe beaucoup de variables, et des erreurs peuvent survenir. »
Le conseil d’administration à la base de la sécurité
Les chercheurs précisent qu’étudier les bilans en matière de sécurité des compagnies aériennes s’avère complexe. D’abord, il y a relativement peu d’accidents à analyser. Ensuite, recueillir les données sur la gouvernance et la santé financière des compagnies, particulièrement à l’international, est un travail de moine.
Les chercheurs ont analysé un échantillon international d’accidents survenus entre 1950 et 2019 pour leur étude.
Ils ont découvert que 53 % des accidents étaient attribués à une erreur de pilotage, tandis que 20 % relevaient d’une défaillance mécanique. Environ 10 % des accidents étaient causés par les conditions météorologiques.
Toutefois, ces chiffres ne disent pas tout selon les chercheurs. Ceux-ci expliquent qu’une erreur de pilotage peut impliquer un large éventail de facteurs, y compris une supervision insuffisante, une mauvaise planification, une formation inadéquate, une violation délibérée des règles, voire de la corruption.
Quant aux défaillances mécaniques, elles sont parfois attribuables aux erreurs des constructeurs d’aéronefs et au manque d’expérience du personnel de piste. Enfin, le mauvais temps est un facteur, mais le risque d’accident diminue lorsque le personnel est bien formé, a de l’expérience et opère un équipement de pointe, ce qui indique une association entre les facteurs de risque des accidents.
Au total, environ 75 % des accidents sont liés – directement ou indirectement – à des facteurs organisationnels sur lesquels la compagnie exerce un contrôle.
De plus, les chercheurs ont déterminé que le premier dirigeant et la composition du conseil d’administration d’une compagnie aérienne influent sur sa santé financière et, par conséquent, son taux d’accidents.
« La surveillance et la qualité de la formation sont extrêmement importantes »
Dans une deuxième étude menée sur un échantillon de 372 compagnies aériennes présentes dans 72 pays entre 1990 et 2016, les chercheurs ont découvert que plus la gouvernance des compagnies était de qualité, moins elles subissaient d’accidents.
La qualité de la gouvernance était déterminée par plusieurs facteurs : les compétences des membres du conseil, l’intensité du travail des membres de la direction et la diversité au sein du conseil (expérience, âge et sexe). La diversité au sein du conseil était associée à une diminution du taux d’accidents.
La durée des mandats des premiers dirigeants influait sur la sécurité, tout comme leur indépendance par rapport au conseil. En général, un long mandat était corrélé positivement à un nombre inférieur d’accidents. Cependant, les dirigeants à l’aube de la retraite étaient plus souvent associés à une surveillance relâchée et à un risque accru d’accident.
Enfin, les chercheurs ont relevé de meilleurs bilans en matière de sécurité chez les compagnies aériennes établies dans des États de droit – ce qui implique notamment l’application de la loi et le respect d’une réglementation stricte – dotés de meilleures infrastructures aériennes.
Thomas Walker espère que l’étude incitera les compagnies aériennes et les organismes de réglementation à rehausser les normes de sécurité, à mieux comprendre l’influence de la gestion et des finances sur le risque d’accident et à détecter de manière précoce les signes de danger.
« La surveillance des transporteurs et des constructeurs, ainsi qu’une formation de qualité supérieure sont extrêmement importantes pour le secteur de l’aviation », conclut-il.
Hamed Khadivar, professeur à l’Université du Québec à Montréal, et Miles Murphy, assistant de recherche à l’École de gestion John-Molson, ont participé à l’étude.
Lire l’article cité : « Reducing airline accident risk and saving lives: financial health, corporate governance, and aviation safety ».