Une expédition spéléologique fournit de précieux renseignements sur les défis de la recherche sur le terrain
La recherche en laboratoire est l’un des fondements de la pratique scientifique moderne, mais elle ne peut rendre compte de la plupart des expériences vécues par les êtres humains en dehors du laboratoire. De même, la plupart de ces expériences ne peuvent être reproduites en laboratoire.
Cela est particulièrement vrai dans le domaine des neurosciences cognitives et de la neuropsychologie, qui analyse les facteurs de stress environnementaux pouvant influer de manière inattendue sur la façon dont les humains pensent et réagissent. En utilisant sur le terrain des méthodes et du matériel de laboratoire, une équipe de recherche de l’Université Concordia espère en arriver à une meilleure compréhension de ce qui se produit chez les personnes qui font face à des conditions environnementales difficiles.
Dans un article publié dans le Journal of Environmental Psychology, les chercheuses et chercheurs décrivent comment ils ont procédé pour recueillir des données utiles auprès d’un groupe de personnes placées dans des conditions extrêmes, ainsi que les difficultés rencontrées et les leçons apprises au cours de ce processus. La recherche a été réalisée sous la supervision d’Emily Coffey, professeure agrégée au Département de psychologie.
Les sujets de l’étude faisaient partie d’une expédition d’exploration organisée par Spéléo Québec dans un complexe de grottes de la Sierra Negra, à environ 300 kilomètres au sud-est de Mexico. L’équipe de recherche s’est jointe au groupe à mi-parcours d’une mission de trois semaines. Les spéléologues devaient faire des efforts physiques quotidiens, en plus de vivre des périodes d’isolement et d’être soumis à des conditions d’hygiène et de sommeil éprouvantes – ce qui est loin des paramètres stricts caractéristiques du travail en laboratoire orthodoxe.
« Le travail en laboratoire est hautement contrôlé et donc reproductible pour des centaines de tests, mais le laboratoire n’est pas un milieu naturel », explique Hugo Jourde, auteur principal de l’article et doctorant au Coffey Lab: Audition, Sleep & Plasticity. « À l’autre bout du spectre, on trouve les missions sur le terrain, où l’on n’a aucun contrôle sur l’environnement. Nous pensons que ces deux approches sont valables. »
L’équipe espérait que l’étude rende compte des défis liés à la réalisation d’une recherche en sciences cognitives sur le terrain, tout en proposant un cadre pour de futures recherches. L’expédition au Mexique a constitué pour les chercheuses et chercheurs une étude de cas permettant d’obtenir des données empiriques.
« À ce stade, l’objectif principal était de voir ce qui était faisable et ce qui ne l’était pas », ajoute le chercheur.
L’obtention des données est difficile, mais pas impossible
Quatre chercheurs se sont joints à sept spéléologues au cours de la deuxième semaine d’une mission de trois semaines, en mars 2023. Les neuf hommes et deux femmes, âgés de 27 à 65 ans, n’avaient pas tous la même expérience de la spéléologie et de l’escalade.
Les chercheurs ont sélectionné un ensemble de questionnaires, de tâches cognitives, de mesures physiologiques, de relevés obtenus à l’aide de moniteurs cardiaques et de caméras montées sur le corps, ainsi que d’entretiens individuels pour recueillir leurs données. Ils se sont particulièrement intéressés aux mesures de la fatigue, de la régulation émotionnelle ou de la performance cognitive. Ils ont également mesuré la qualité du sommeil d’un sous-groupe de spéléologues.
Les difficultés logistiques, les contraintes de temps et l’épuisement physique ont obligé les chercheurs à adapter rapidement leur approche. Malgré le petit nombre de sujets et le manque de matériel, qui a rendu impossible une observation poussée de toutes les personnes, l’expérience globale a tout de même permis d’obtenir des résultats importants, selon Hugo Jourde.
« L’objectif de cette étude était avant tout de voir s’il était possible de recueillir des données dans ce type d’environnement, fait-il valoir. Nous savions que la plupart de nos observations ne présenteraient pas de puissance statistique, mais nous avons tout de même pu recueillir des données utilisables. »
Hugo Jourde est d’avis que cette étude sera utile pour la réalisation de recherches sur le travail dans des environnements extrêmes, sujet particulièrement important pour des organisations telles que la NASA et l’Agence spatiale européenne. Par ailleurs, l’équipe de recherche a pu obtenir des renseignements pertinents sur la relation entre la charge de travail cognitive, le sommeil et la sécurité au travail.
« La spéléologie étant une activité menée dans des environnements extrêmes, elle peut nous en apprendre beaucoup sur d’autres tâches dangereuses et physiquement exigeantes. Ces observations ne valent pas seulement pour les gens qui participent à une expédition spéléologique ou spatiale, mais s’appliquent à toute personne exerçant un métier difficile. »
Anita Paas (Ph. D. 2024), Arnaud Brignol, Marie-Anick Savard, Zseyvfin Eyqvelle de l’Université Concordia ainsi que Samuel Bassetto et Giovanni Beltrame de Polytechnique Montréal ont également contribué à la réalisation de cette étude.
Le fonds Nouvelles frontières en recherche du gouvernement du Canada et l’Agence spatiale canadienne ont soutenu financièrement cette étude.
Lisez l’article cité : Beyond the lab: Feasibility of cognitive neuroscience data collection during a speleological expedition.