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Un besoin d’authenticité a incité la haute couture à s’ouvrir à la mode urbaine puis à l’absorber, selon Pierre-Yann Dolbec

Un professeur de l’École de gestion John-Molson affirme que les collaborations entre les maisons de haute couture établies et les marques émergentes, bien que fructueuses, favorisent souvent les élites
18 février 2025
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A smiling bearded man wears a black jacket and shirt
Pierre-Yann Dolbec: “Although the elite firms can use the power afforded by their financial resources, there is still hope for some forms of resistance to maintain autonomy.”

Pendant des décennies, la haute couture s’est distinguée par l’exclusivité de ses créations, ses prix et sa culture, qui en ont fait une chasse gardée jalousement protégée par les élites de l’industrie. Mais un changement s’est produit ces dernières années, et les marques de luxe qui dictaient autrefois les goûts se sont mises à emprunter, à intégrer et même à adopter pleinement les créateurs et les styles issus de la culture de la rue. Ainsi, chez Louis Vuitton, Gucci et Balenciaga, les chandails à capuchon, les baskets et les t-shirts imprimés se vendent désormais à prix d’or.

Comment cette transformation s’est-elle produite? Et surtout, qui en bénéficie vraiment?

Dans une étude publiée dans le Journal of Marketing Research, Pierre-Yann Dolbec, professeur agrégé au Département de marketing de l’École de gestion John-Molson, examine comment les créatrices et créateurs de mode urbaine sont entrés dans le monde élitiste de la haute couture. Cette évolution a permis à certains d’entre eux de gagner en visibilité et en statut, alors même que les marques de luxe consolidaient leur influence.

Cependant, selon lui, ce sont les entreprises de mode qui en récoltent le plus de bénéfices en récupérant la culture de la rue et en profitant de sa légitimité.

« En absorbant la mode urbaine de luxe et ses créatrices et créateurs, les élites ont bénéficié de tout le capital culturel associé à ces créateurs ainsi que d’une importante couverture médiatique, explique-t-il. Mais elles ont également commencé à exercer un contrôle sur les créateurs en imposant la longue tradition historique de leurs entreprises. Les créateurs ont voulu faire entrer la mode urbaine dans les marques de luxe, mais ils ont dû le faire dans le cadre de l’héritage de ces marques. »

Apprendre de la rue

Pierre-Yann Dolbec indique que cette hybridation relativement nouvelle de la mode urbaine et de la haute couture sert à la fois les maisons de couture d’élite et les créateurs de manière réelle mais très différente.

Selon, lui, cette hybridation s’est produite selon deux principaux processus.

Tout d’abord, « les créateurs de mode urbaine ont associé le style de la rue avec la qualité et l’exclusivité du haut de gamme, inventant ainsi une nouvelle catégorie qui englobait les deux mondes. Pensez à des baskets et chandails à capuchon en édition limitée, fabriqués en Italie au moyen de cuirs et de tissus haut de gamme », explique-t-il. Ces nouveaux créateurs ont prouvé qu’ils pouvaient répondre aux normes élevées des produits de luxe – du savoir-faire au prix – et rivaliser avec les maisons de mode d’élite.

« Deuxièmement, ils ont misé sur l’authenticité – leurs créations ont conservé leur côté cool et leur pertinence culturelle. Par exemple, ils ont utilisé des stratégies telles que les ventes surprises pour susciter l’engouement, se sont appuyés sur des intermédiaires tels que les artistes hip-hop pour promouvoir leurs produits et se sont associés à des univers tels que l’art de la rue, la culture du skate et le tatouage. »

Ce faisant, la mode urbaine a brisé les barrières qui ont longtemps maintenu l’exclusivité de la mode de luxe. Ces créations hybrides ont remis en question les limites de la mode instituées par les élites, forçant les maisons de couture à prendre acte de la situation.

La haute couture absorbe les nouveaux styles

 

Face à l’essor de la mode urbaine de luxe, les maisons de couture se trouvaient devant un choix : rivaliser ou collaborer. Elles ont choisi de s’ouvrir à la mode urbaine de luxe et de l’absorber. Des maisons renommées, de Louis Vuitton à Dior, ont commencé à recruter des créateurs de mode urbaine ou à intégrer des styles urbains – comme les chandails à capuchon et les grosses chaussures sport – dans leurs collections.

Des collaborations très médiatisées, comme la collection Louis Vuitton x Supreme de 2017, ont fait les gros titres. « Ce fut un événement qui a signalé à l’industrie – et au monde – que les anciennes règles d’exclusivité ne s’appliquaient plus, affirme Pierre-Yann Dolbec. La culture de la rue était passée de la contre-culture aux passerelles des défilés de mode. »

Si ce changement – qui a fait grand bruit – a donné l’impression que la mode devenait plus démocratique et authentique, Pierre-Yann Dolbec fait valoir que les maisons d’élite ont continué à exercer leur influence financière pour conserver leur statut.

Trouver des façons de conserver son autonomie et son authenticité

Bien que cette relation semble favoriser les entreprises d’élite, Pierre-Yann Dolbec estime que les créateurs de mode urbaine peuvent contrecarrer cette absorption.

Il s’agit notamment de tirer parti des frontières encore floues de la mode hybride pour redéfinir le concept de luxe tout en utilisant la proximité de celui-ci pour gagner en visibilité et en résonance culturelle. Les créateurs qui attachent de l’importance à leurs relations avec une clientèle ne faisant pas partie de l’élite peuvent utiliser des solutions autres que des prix élevés pour conférer de l’exclusivité à leurs produits, telles que les séries limitées. Ils peuvent également utiliser leurs plateformes pour cultiver leur autonomie en misant sur le renforcement des capacités collectives, par exemple en créant des bourses, des programmes de formation et d’autres projets communautaires.

« Bien que les entreprises d’élite puissent utiliser le pouvoir que leur confèrent leurs ressources financières, il est encore possible d’espérer certaines formes de résistance pour maintenir l’autonomie de la mode urbaine », conclut Pierre-Yann Dolbec.

Lisez l’article cité : “From Streetwear to High Fashion: How Nonelite Producers Use Hybridization to Enter an Elite Category.



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