Racines d’une cinéaste
Depuis maintenant plus de trois ans, le Liban traverse une crise économique que la Banque mondiale a qualifiée de l’une des 10 pires crises du monde depuis le 19e siècle. Les experts estiment qu’elle trouve son origine dans les décennies de corruption et de mauvaise gestion de la classe politique au pouvoir depuis la fin de la guerre civile en 1990.
Joyce Joumaa a vu, et senti, les conséquences de cette négligence alors qu’elle était adolescente, au début de la crise des ordures survenue dans son pays en 2015. En descendant dans la rue pour manifester, elle a vu apparaître son intérêt pour le cinéma documentaire au même moment que son éveil politique.
À l’Université Concordia, Mme Joumaa a excellé dans ses études cinématographiques et a fait partie des rares étudiantes et étudiants choisis pour suivre des cours de production cinématographique.
L’une des choses qui l’ont le plus marquée durant son parcours à son alma mater était la liberté que le corps enseignant en études cinématographiques laissait aux étudiantes et étudiants pour explorer ce qui les intéressait. Elle affirme que c’est cette liberté qui lui a permis de se concentrer sur le sujet de la politique au cœur de L’inertie du vide et de la plupart de ses autres travaux.
L’esprit de communauté qui régnait au sein du Département d’études cinématographiques était un autre atout majeur selon elle. « On pourrait s’attendre à beaucoup plus de compétition, puisqu’il s’agit d’un domaine concurrentiel, mais tout le monde s’entraide. Nous travaillions tous sur les tournages des uns et des autres. »
« Placer l’architecture dans des contextes sociaux et politiques plus larges »
Trois diplômées et diplômés de l’Université Concordia ont travaillé avec Joyce Joumaa sur L’inertie du vide : William Albu, B. Bx-arts 2020, directeur photo; Kayla Fragman, B. Bx-arts 2021, monteuse; et Louis Parent, B. Bx-arts 2020, ingénieur du son.
Mme Joumaa s’est d’abord rendue seule au Liban en février 2022 pour effectuer des recherches et des repérages, puis y est retournée pendant un mois en compagnie de M. Albu en juin et juillet pour tourner le documentaire.
Sa résidence d’un an et demi au CCA s’est également avérée cruciale pour le projet, selon elle. Non seulement le CCA a-t-il fourni les fonds nécessaires à la réalisation du documentaire ainsi qu’un espace où mener des recherches, mais ses membres ont aussi agi comme de véritables collaborateurs.
« C’était incroyable de constater cette ouverture d’esprit, raconte-t-elle. Même s’il s’agit d’une institution de recherche et d’un musée axés sur l’architecture, ils s’intéressent également au fait de placer l’architecture dans des contextes sociaux et politiques plus larges. »
Le résultat final est un documentaire expérimental de 38 minutes dans lequel figurent des documents d’archives, des films 16 millimètres et numériques, et des entretiens avec des urbanistes, des architectes et des habitants de Tripoli. L’œuvre méditative donne la parole aux résidants et utilise le champ de foire futuriste avorté comme prisme pour voir l’effondrement au-delà du site.
Pour Joyce Joumaa, l’œuvre est également une invitation à réfléchir à l’échec.
« L’échec est quelque chose auquel nous ne réfléchissons pas vraiment, surtout dans le domaine de l’architecture, au sein duquel il existe un discours positiviste. Mais je m’y suis particulièrement intéressée dans cette œuvre, en cherchant notamment à savoir comment et pourquoi les choses échouent. Le documentaire peut être un moyen pour les membres du public de réfléchir à l’échec et à ce qu’il signifie pour eux. »