Pour l’artiste Jinny Yu, l’abstraction est porteuse de sens

Jinny Yu, B. Bx-arts 1998, s’exprime par l’art abstrait, mais sa pratique est également pour elle un moyen d’examiner le monde qui l’entoure.
« Le langage de l’abstraction a une puissance de communication qu’il n’est pas possible d’atteindre par d’autres moyens, souligne Jinny Yu. Ce potentiel incite l’artiste à explorer une question à la fois personnelle et politique : Qu’est-ce que cela signifie de vivre ici en tant qu’allochtone sur un territoire autochtone non cédé? »
C’est ce thème qu’explore l’artiste dans le cadre de son exposition, Superposition, qui prendra l’affiche du 5 juin au 24 août 2025 à la Fondation Guido Molinari, à Montréal. Le fait d’exposer à cet endroit donne à Jinny Yu le sentiment de boucler la boucle, ayant étudié à l’époque de son baccalauréat en beaux-arts à Concordia avec Guido Molinari, l’un des artistes abstraits les plus célèbres du Canada.
« J’ai été impressionnée par la confiance qu’il avait en lui-même en tant qu’artiste, relate-t-elle. Il avait une approche très abstraite et formaliste et ne se préoccupait pas tant du sujet abordé que des formes et des couleurs. C’est pour moi un honneur de présenter mon exposition individuelle dans son ancien studio, aujourd’hui transformé en musée, et je suis fière de m’appuyer sur son legs et de poursuivre l’exploration de l’abstraction dans l’art canadien. »
« La possibilité d’échanger des idées »
L’exposition comprend des œuvres peintes par Jinny Yu entre 2017 et 2024, qui s’inscrivent dans le prolongement de sa première exposition solo présentée récemment au Musée des beaux-arts de l’Ontario et intitulée Jinny Yu: at once; dans cette exposition, elle abordait des thèmes touchant le chez-soi et l’appartenance, sujets qui ont pour elle une très forte résonance personnelle.
Née à Séoul, Jinny Yu a grandi à Montréal, fait ses études à Toronto et vécu à Sackville, au Nouveau-Brunswick, à Venise ainsi qu’à New York. Elle partage aujourd’hui son temps entre Berlin et Ottawa, incarnant l’expérience transnationale souvent évoquée dans son travail.

« Ces œuvres expriment ce que je ressens. Elles examinent la relation de pouvoir qui existe entre l’hôte et l’invité dans notre société, fait valoir l’artiste. Lorsque l’on se déplace beaucoup, on commence à voir les choses plus clairement, car on accumule des points de comparaison. J’ai acquis une affinité pour l’abstraction grâce à ce type de mouvement, qui donne la possibilité de voir les lieux avec du recul. »
Pour Jinny Yu, Berlin est un lieu qui stimule sa créativité. « C’est une ville passionnante pour les artistes visuels contemporains. J’y ai beaucoup d’amis artistes, ainsi que de la famille. »
Ottawa, quant à elle, est une ville qui répond à un autre besoin, celui de partager sa passion avec d’autres. Professeure de peinture à l’Université d’Ottawa depuis 2006, Jinny Yu considère l’enseignement comme un moyen de redonner à la collectivité. « L’enseignement me permet de contribuer à la société. J’apprécie l’enseignement et la possibilité d’échanger des idées avec les nouvelles générations. »
Son approche pédagogique repose sur la conviction selon laquelle l’art est un outil de changement pouvant provoquer une remise en question les points de vue et susciter des conversations critiques.
« Il ne s’agit pas seulement de préoccupations formelles, mais aussi de préoccupations sociétales et politiques. J’espère qu’à l’obtention de leur diplôme, les étudiantes et étudiants à qui j’enseigne seront devenus des citoyens engagés, capables de penser par eux-mêmes et de manière critique. »
En hommage à son ancien professeur Guido Molinari, Jinny Yu perpétue une tradition héritée du célèbre artiste et mentor.
« Il portait toujours une casquette de baseball en classe, se souvient-elle. La casquette coupe la lumière du plafond et permet ainsi de mieux se concentrer sur le tableau. Aujourd’hui, dans mon atelier, je porte aussi une casquette lorsque je peins. »