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50 ans de présence queer à Concordia

Generations of 2SLGBTQIA+ alumni show why representation still matters
14 novembre 2024
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Par Richard Burnett, B.A.1988


Avec des feuilles vertes de chaque côté, deux mains tiennent en l'air un nouveau drapeau de la fierté sur fond de ciel bleu. Photo: Adobe Stock

H. Nigel Thomas, B.A. 1974, M.A. 1975, a émigré de Saint-Vincent-et-les Grenadines en 1968 pour venir étudier à la Sir George Williams University, l’un des deux établissements fondateurs de l’Université Concordia.

« Je n’avais aucune parenté à Montréal, ni aucun ami proche et, au début, aucun revenu », se souvient l’auteur et éducateur primé.

« Lorsque j’ai quitté Saint-Vincent, ma mère était à ma charge. Pendant mes premières années au Canada, j’ai dû me débrouiller pour pouvoir aller à l’université tout en subvenant à tous nos besoins. »

Le fait d’être noir et ouvertement gai comportait des défis considérables à cette époque. Les relations homosexuelles n’ont été que partiellement décriminalisées au Canada en 1969, et ce n’est qu’en 1973 que l’American Psychological Association a retiré l’homosexualité de sa liste des troubles mentaux.

C’était également une période difficile pour les étudiants de couleur à l’Université : la manifestation étudiante à la Sir George Williams University, en 1969 – une protestation contre le racisme institutionnel menée en grande partie par des étudiants noirs et caribéens –, a fait la une des journaux internationaux.

Nigel se tient dans un atrium ensoleillé. Il porte un T-shirt noir, un pantalon noir et une veste en tweed marron. H. Nigel Thomas, BA 74, MA 75 | Photo credit: Marc Robitaille

« Les tests de QI et l’intelligence des Noirs faisaient l’objet de nombreux débats au sein de la société, si bien que dans ce contexte, il était plus important pour moi d’être Noir que d’être gai, explique H. Nigel Thomas. Et comme il n’y avait pas de club étudiant gai à Concordia, je fréquentais les soirées organisées par Gay McGill. »

Mais les personnes 2SLGBTQIA+ ont eu la possibilité de s’épanouir à Concordia au lendemain de la fusion historique du Loyola College et de la Sir George Williams University, en 1974.

Au cours des décennies qui ont suivi, divers enjeux générationnels liés aux communautés 2SLGBTQIA+ – de la liberté sexuelle, dans les années 1970, à l’identité de genre dans les années 2020 – ont profondément façonné la vie des étudiantes et étudiants queers et influé sur la manière dont l’Université s’est adaptée et a évolué au cours des 50 dernières années.

Nouveau départ

L’approche plus moderne de la nouvelle Université Concordia en matière de liberté universitaire et de libertés individuelles, qui consistait à soutenir et à renforcer les droits des personnes 2SLGBTQIA+, a grandement contribué à enrichir la vie étudiante queer sur le campus.

Parmi les jalons historiques importants pour les personnes étudiantes 2SLGBTQIA+ à l’Université figure la fondation, en 1978, du collectif des lesbiennes et des gais de Concordia, dont le nom a été remplacé en 1992 par l’appellation épicène « Concordia Queer Collective » (aujourd’hui Queer Concordia).

Le premier cours d’études lesbiennes au Canada est donné par Yvonne Klein, B.A. 1971, à la session d’été 1985 à l’Institut Simone de Beauvoir. Trois ans plus tard, l’édifice historique de l’institut, situé sur la rue Bishop, au centre-ville, qui avait abrité le mythique bar lesbien Madame Arthur de 1973 à 1975, accueille régulièrement les réunions de l’avant-gardiste coalition des études lesbiennes de Concordia.

Puis, en 1988, Concordia devient la quatrième université canadienne à mettre en place une politique sur le VIH/sida. Six ans plus tard, un cours fondateur intitulé HIV/AIDS: Culture, Social and Scientific Aspects of the Pandemic (« VIH/sida : aspects culturels, sociaux et scientifiques de la pandémie ») est élaboré par Thomas Waugh, professeur d’études cinématographiques.

Mo se tient à l'extérieur, dans un champ ensoleillé avec des feuilles dorées tout autour.Elle porte un appareil photo à l'œil et vous sourit. Mo (Maureen) Bradley, B.A. 1990, M.A. 1995

Le militantisme étudiant, bien ancré à Concordia, contribue également aux changements sociétaux à l’extérieur des murs de l’Université.

En janvier 2021, le Centre de lutte contre l’oppression des genres de Concordia remporte une contestation judiciaire constitutionnelle sans précédent lorsque le juge Gregory Moore, de la Cour supérieure du Québec, statue que certaines parties du Code civil du Québec sont inconstitutionnelles en ce qui concerne les droits civils des personnes transgenres, non binaires et intersexes.

Malgré ces victoires, la sortie du placard, tant sur le campus qu’en dehors de l’Université, reste aujourd’hui une démarche ardue pour de nombreuses personnes qui cherchent à vivre leur vie de manière authentique.

Pour Mo (Maureen) Bradley, B.A. 1990, M.A. 1995, cinéaste indépendante, artiste médiatique et professeure de création littéraire à l’Université de Victoria, un événement en particulier a joué un rôle déterminant dans son parcours.

Le 16 juillet 1990, des protestataires se rassemblent devant un poste de police du centre-ville de Montréal afin de dénoncer la violente descente perpétrée par les forces policières dans le loft où se tenait la soirée clandestine queer Sex Garage.

La descente policière déclenche une vague d’affrontements qui dure 36 heures entre la communauté homosexuelle et la police. Aujourd’hui largement considéré comme le « Stonewall de Montréal », l’événement est devenu un symbole de résistance et de la lutte continue pour l’égalité.

« Je me trouvais devant le poste 25 pendant ma pause-repas, caméra à la main, lorsque la police a commencé à frapper les manifestants – j’ai donc tout filmé! », se souvient Mo Bradley, qui a coréalisé avec Danielle Comeau, B.A. 1990, le fameux documentaire We’re Here, We’re Queer, We’re Fabulous (« nous existons, nous sommes queer, nous sommes fabuleux ») qui relate les événements entourant Sex Garage.

Les mouvements de libération 2SLGBTQIA+ de Montréal et de Concordia ont inspiré Mo Bradley et l’ont encouragée à afficher fièrement son identité.

« Quand je suis arrivée à Concordia, en 1987, j’ai commencé à rencontrer d’autres étudiants et professeurs queers. J’ai côtoyé durant mes études des personnes brillantes qui ont changé ma vie. »

Doug a des cheveux blancs et une courte barbe.Ses joues sont roses et il porte une chemise grise imprimée. Doug Janoff, MA 90

Doug Janoff, M.A. 1990, agent principal du service extérieur du gouvernement canadien et auteur du livre Pink Blood: Homophobic Violence in Canada (« du sang rose : la violence homophobe au Canada ») s’est joint au collectif des lesbiennes et des gais de Concordia en 1985, à une époque où, observe-t-il, « l’homosexualité a commencé à devenir à la mode et où les personnes homosexuelles avaient une plus grande visibilité. »

Lorsque des tensions internes ont commencé à se manifester pendant la crise du sida, Doug Janoff a compris les avantages d’une véritable diversité.

« Je pensais qu’il n’existait à l’époque qu’une seule communauté gaie monolithique, dominée par des clones gais blancs qui décidaient de l’ordre du jour », relate-t-il.

« Si vous n’adhériez pas leur vision, vous ne faisiez plus partie du cercle rapproché. Cette expérience m’a endurci et m’a fait comprendre qu’il existe une diversité d’opinions et d’expériences au sein de notre communauté. »

Fierté et préjudice

Kat Setzer, M.A. 2000, est responsable de la programmation à image+nation, le réputé festival de films 2SLGBTQIA+ de Montréal, le plus ancien du genre au Canada.

Originaire de Vancouver, Kat Setzer entreprend des études à Concordia dans les années 1990. C’est au cours de cette période effervescente des luttes pour les droits des personnes 2SLGBTQIA+ qu’iel commence à s’impliquer au sein d’importantes organisations locales, notamment Divers/Cité, qui a organisé les premières célébrations de la fierté à Montréal, ainsi qu’image+nation.

Son militantisme queer était un complément à ses études à Concordia.

« J’ai orienté mes études sur le cinéma queer, ce qui m’a permis d’allier théorie et pratique. Je crois fermement au pouvoir de la représentation, et je pense qu’il importe de redonner à la communauté et d’agir politiquement dans le monde où nous vivons pour essayer de le rendre meilleur. »

Tandis que le travail de toute une vie accompli par des Concordiennes et Concordiens queers comme les Thomas, Bradley, Janoff et Setzer demeure pertinent et continue d’avoir une influence et de rayonner, de nouvelles générations d’étudiantes et d’étudiants ainsi que de personnes diplômées 2SLGBTQIA+ cherchent également à s’affirmer et à trouver leur place dans le monde – un processus qui ne prend semble-t-il jamais fin.

Tranna a de longs cheveux blonds. Elle pose sur un fond rouge, assise sur ses talons. Elle porte un pantalon jaune et un débardeur noir en fourrure. Tranna Wintour, BA 10 | Photo credit: Lian Benoit

Tranna Wintour, B.A. 2010, figure légendaire de l’humour trans et personnalité télévisuelle, révèle qu’il lui a fallu de nombreuses années pour afficher pleinement son identité.

« Tout ce que j’ai appris à Concordia m’a vraiment été utile, mais j’ai aussi l’impression de ne pas avoir profité pleinement de l’expérience universitaire parce que je ne m’affichais pas comme transgenre à l’époque et que je ne participais à aucun groupe étudiant », confie Tranna Wintour.

« Je pense que je manquais certainement de confiance en moi, ce qui m’empêchait de comprendre qui j’étais et quelle était mon identité. »

S’affirmer et se réaliser

L’apprentissage et l’exploration des réalités 2SLGBTQIA+ favorisés à Concordia ont eu un effet favorable sur la vie des personnes diplômées de l’Université.

Après avoir terminé ses études à Concordia, pour ensuite fréquenter l’Université McGill, puis l’Université de Montréal, H. Nigel Thomas est devenu professeur de littérature américaine à l’Université Laval, à Québec.

Écrivain reconnu, il est l’auteur de 13 livres. Encensé tant par la critique que par le lectorat, son premier ouvrage, publié en 1993, intitulé Spirits in the Dark, a apporté une contribution importante et pertinente à la représentation de l’expérience des communautés 2SLGBTQIA+ et des populations canadiennes d’origine caribéenne.

H. Nigel Thomas est devenu un véritable modèle pour les jeunes gais noirs, et son influence sur la littérature et la représentation a récemment été reconnue par le Conseil des arts du Canada qui lui a décerné, en 2022, le prestigieux prix Molson.

« Je suis heureux que mes écrits aient ouvert de nouveaux horizons au Canada et dans les Caraïbes », se réjouit l’écrivain.

Kat Setzer, MA 00

Pour sa part, Kat Setzer constate avec fierté que Concordia continue d’enseigner la culture queer à de nouvelles générations d’étudiantes et d’étudiants. Ainsi, l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université a inauguré en 2019 un programme de majeure en études interdisciplinaires de la sexualité.

Kat Setzer, dont le mémoire de maîtrise réalisé à Concordia s’intitulait Playing on-line: Sexual subjectivity, gender play and the construction of the dyke SM fantasy (« jeux en ligne : subjectivité sexuelle, jeux de genre et construction du phantasme SM lesbien »), observe que « nous avons tous besoin de voir et de lire des histoires qui parlent de nous et qui reflètent nos vies ».

Après avoir réalisé plus de 50 courts métrages et vidéos, ainsi que le long métrage primé Two 4 One, Mo Bradley affirme que son expérience à Concordia influe toujours sur ses méthodes d’enseignement.

« La compréhension de la nature intersectionnelle de tout phénomène a eu une grande importance pour moi à l’époque de mes études, indique Mo Bradley. Le féminisme, l’homosexualité, la race, la classe sociale et la situation de handicap : aujourd’hui, je tiens compte de tous ces aspects afin d’élaborer un bon programme de cours. »

Lorsqu’il était étudiant à Concordia, Doug Janoff – qui durant sa longue et brillante carrière a occupé des fonctions diplomatiques en Afghanistan et au Pakistan – avait l’habitude de porter un insigne arborant le slogan « Out of the closet and into the street » (« sortez du placard et allez dans la rue »).

« J’y croyais fermement », assure l’auteur de Queer Diplomacy: Homophobia, International Relations and LGBT Human Rights (« diplomatie queer, homophobie, relations internationales et droits des personnes LGBT ») (Palgrave Macmillan, 2022). « Je voulais que tout le monde sorte du placard. Et j’étais prompt à critiquer les personnes qui ne le faisaient pas. »

« Mais avec l’âge, je me suis adouci. J’ai acquis une approche plus humaine de la sexualité et de l’identité, ce qui m’a permis de comprendre que certaines personnes ne pourront malheureusement jamais faire leur sortie du placard. »

Pour Tranna Wintour, le fait d’animer les Retrouvailles queers de Concordia en septembre dernier a été l’occasion de renouer avec la communauté universitaire, au moment où l’établissement célèbre son 50e anniversaire.

« La vie des personnes 2SLGBTQIA+ s’est améliorée, mais nous vivons toujours une période précaire et inquiétante pour les queers du monde entier », observe Tranna Wintour.

« C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas tenir les célébrations des anciens diplômés 2SLGBTQIA+ pour acquises. »



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