Grande Concordienne : Na’kuset, organisatrice communautaire et directrice générale du Foyer pour femmes autochtones de Montréal

Na’kuset, B.A. 2000, a consacré sa vie à combattre les injustices auxquelles font face les peuples autochtones à Montréal et ailleurs.
Survivante de la rafle des années 1960, elle a été arrachée à sa famille crie et adoptée par une famille juive de Montréal, scénario emblématique de cette époque marquée par les politiques assimilationnistes du Canada.
Bien qu’elle ait grandi en étant coupée de sa culture, Na’kuset possédait une persévérance et un dynamisme qui l’ont amenée à se porter sans relâche à la défense des droits sa communauté.
Actuellement directrice générale du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, Na’kuset est profondément impliquée dans l’un des projets les plus importants de sa carrière : la préparation du Tribunal permanent des peuples (TPP) sur les enfants autochtones disparus et les sépultures anonymes. Le tribunal, qui doit siéger en 2026, entend faire la lumière, à l’échelle internationale, sur les crimes systémiques commis à l’endroit des enfants autochtones dans les pensionnats canadiens.
« Lorsque les tombes ont été découvertes, nous nous sommes tous exclamés : “Nous vous l’avions dit”, se souvient Na’kuset. Pendant des années, nos avertissements n’ont pas été pris en compte et aujourd’hui, malgré une réaction d’indignation initiale, c’est comme si les gens s’étaient de nouveau désintéressés de cette question. Mais nous ne pouvons pas céder à l’apathie. »
Le tribunal est le fruit d’une collaboration entre le Foyer pour femmes autochtones de Montréal, Amnistie internationale Canada francophone et un réseau international d’experts en droit et de défenseurs des droits.
Na’kuset se souvient d’un moment déterminant dans la genèse du projet : « La documentariste Alethea Arnaquq-Baril a évoqué sur Twitter la nécessité de tenir un procès du type de celui de Nuremberg pour les enfants autochtones. Ce message m’a profondément interpellée et m’a incitée à réfléchir à la manière dont nous pourrions organiser quelque chose de similaire. »
Le TPP a vu le jour grâce aux conseils d’Amnistie internationale à Paris et à une coordination étendue avec des conseillers juridiques autochtones et des groupes de personnes survivantes.
Pour Na’kuset, ce projet doit mener à une reddition de comptes et non seulement à une reconnaissance des faits.
« Quand les gens entendent le mot “génocide”, ils ne pensent qu’aux massacres, explique-t-elle. Mais le génocide a de multiples facettes – il comprend l’effacement culturel, le déracinement systémique et la rupture délibérée des liens familiaux, qui sont tout aussi dévastateurs. »
L’action de Na’kuset ne se limite pas à l’organisation du tribunal. Sous sa direction, le Foyer pour femmes autochtones de Montréal a lancé des projets tels que Miyoskamin, un programme d’hébergement de deuxième étape, et Résilience Montréal, un centre de bien-être pour la population autochtone en situation d’itinérance.
Ses efforts sont à l’image de sa philosophie : « On n’a qu’une vie, et j’ai choisi de vivre la mienne comme une “accro à l’accomplissement”. Les enjeux sont trop importants pour se permettre de rester les bras croisés. »
Qu’est-ce qui vous vient spontanément à l’esprit quand vous repensez à vos études à Concordia?
Na’kuset : Mes années à Concordia ont été marquées par le soutien que j’ai reçu du Centre de ressources pour les étudiantes et étudiants autochtones, dirigé à l’époque par Manon Tremblay. Aujourd’hui, il s’appelle le Centre étudiant Otsenhákta. Il s’agissait à l’époque d’un petit groupe communautaire qui apportait un soutien déterminant aux étudiantes et étudiants autochtones. Les encouragements de Manon et les ressources fournies par le centre étaient essentiels, qu’il s’agisse d’aider à résoudre les problèmes liés au financement des traités ou de créer un lieu de rencontre. Il n’y avait pas beaucoup d’étudiants autochtones à l’époque, mais ce sentiment d’appartenance m’a permis de tenir bon.
Le programme de relations humaines ne consistait pas seulement à apprendre des théories; il fallait trouver comment créer des services pour la communauté autochtone de Montréal. Au cours de ma dernière année à Concordia, j’ai commencé à travailler dans un refuge, où j’ai pu appliquer en temps réel tout ce que j’avais appris.
Pouvez-vous énumérer certains des facteurs qui ont contribué à votre réussite?
N : Pour moi, la réussite a consisté à intervenir lorsque personne d’autre ne le faisait. J’ai toujours senti que j’avais la responsabilité de remédier aux lacunes des services offerts aux Autochtones de Montréal. C’est ce qui m’a poussée à étudier les relations humaines et qui continue de me motiver dans mon travail aujourd’hui.
Dans ce domaine, il n’y a pas de journée type – on prévoit une chose, et une crise vient tout chambouler. La souplesse est un attribut essentiel. J’ai également appris à collaborer avec d’autres personnes qui possèdent une expertise unique. Qu’il s’agisse d’organiser des événements comme « Chaque enfant compte » ou de se pencher sur des enjeux systémiques comme la protection de la jeunesse et l’itinérance, le but consiste toujours à créer des réseaux et à se concentrer sur l’intérêt général.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiantes et étudiants qui souhaiteraient suivre vos traces?
N : Faites preuve de patience et de persévérance. Le changement exige du temps. Mary Two-Axe Earley, l’un de mes modèles, s’est battue pendant 20 ans pour obtenir l’égalité des sexes pour les femmes autochtones. Son histoire me rappelle toujours que notre travail est un marathon, pas un sprint.
Entourez-vous également de personnes qui vous inspirent et qui possèdent des compétences qui vous font défaut. Je me considère souvent comme un « Andy Warhol autochtone ». J’ai une vision, bien sûr, mais je compte sur les meilleures personnes pour m’aider à la concrétiser. Le travail d’équipe et la collaboration sont essentiels à l’atteinte des objectifs qui importent.
Quel effet cela vous fait-il d’avoir été nommée Grande Concordienne?
N : À vrai dire, je ne sais pas trop quoi en penser. Je n’ai jamais fait ce travail pour obtenir une reconnaissance et je me demande parfois « pourquoi moi? ». Mais si le fait d’être nommée Grande Concordienne permet de mettre en lumière les enjeux qui me tiennent à cœur, alors j’accepte cette marque de reconnaissance.
Cette distinction me rappelle l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir. Les peuples autochtones ont accueilli les colons sur ce territoire, et aujourd’hui, nous sommes la population la plus touchée par l’itinérance. J’espère que ce moment de reconnaissance pourra inspirer des actions et mener à des changements concrets pour nos communautés.