Aller au contenu principal

Jakob Leimgruber, Ph.D.

Jakob Leimgruber

Professeur de linguistique anglaise à l’Université de Regensburg

novembre 2024

Quel est votre domaine de recherche actuel?
Je m'intéresse aux langues anglaises dans le monde et aux politiques linguistiques en contexte multilingue.

Un projet actuel analyse les messages textes en anglais à Singapour. Nous avons bâti un corpus à cet effet au cours des dernières années, et il a maintenant atteint une maturité telle que nous l’avons mis à la disposition du public. Un autre projet, actuellement en phase pilote, étudie l’anglais tel qu’il est parlé à Taïwan.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le terme « langues anglaises dans le monde »?

Il s’agit des différentes formes d’anglais dans le monde. L’anglais est utilisé comme langue maternelle dans certains endroits, comme lingua franca postcoloniale dans d’autres (Inde, Singapour) ou comme langue étrangère (Allemagne, France). J’étudie les différences structurales, grammaticales et lexicales; la manière dont elles sont apparues; les personnes qui les utilisent et les contextes dans lesquels elles sont parlées.

Comment êtes-vous venu à ce sujet?

Je m’intéresse aux langues depuis longtemps. J’ai grandi en Suisse dans une famille suisse allemande vivant dans un environnement francophone. J’ai donc été exposé très tôt au bilinguisme, au multilinguisme, ainsi qu’aux variations et à la politique linguistique.

C’est au cours de mes études de langue et de littérature anglaises que j’ai abordé le thème des langues anglaises du monde. J’ai finalement consacré ma thèse de doctorat à l’anglais de Singapour, sujet qui me passionne depuis lors.

Pourquoi l’anglais de Singapour?

Singapour m’a intéressé car je n’étais jamais allé en Asie et le pays me semblait être une porte d’entrée vers le continent, tout en demeurant très occidental dans son développement et sa maîtrise de l’anglais. Cet anglais se démarquait. Bien que de nombreux travaux aient déjà été réalisés sur le sujet, il restait encore beaucoup de choses à étudier. Le pays présente également des similitudes avec la Suisse puisqu’il possède plusieurs « langues officielles », ce qui lui confère un caractère familier.

Comment cela vous a-t-il amené au Québec?

Cette démarche faisait partie de mes recherches postdoctorales sur l’anglais en contexte multilingue. Après avoir étudié les politiques linguistiques de Singapour, j’ai cherché un environnement doté de ressources éducatives et politiques comparables, où l’anglais joue un rôle, mais est façonné par différentes forces idéologiques. Le Québec me semblait offrir une bonne comparaison.

Comment la planification et la politique linguistiques au Québec se comparent-elles à celles des autres pays que vous avez étudiés?

Dans mon livre basé sur cette recherche, je compare le Québec à Singapour et au pays de Galles. À Singapour, l’État promeut fortement l’anglais, qu’il considère comme un élément crucial de l’édification de la nation, car il favorise le développement économique et facilite l’accès de la population à l’économie mondiale. En conséquence, l’anglais est devenu la langue dominante à la maison, ce qui n’était pas le cas il y a deux générations. Cette situation contraste avec l’accent mis par le Québec sur la promotion du français et le renforcement de sa position économique par rapport à l’anglais.

Le pays de Galles s’apparente davantage au Québec dans son approche. Le gouvernement ne promeut pas l’anglais, déjà dominant, mais se concentre plutôt sur la préservation et l’expansion du gallois. Les responsables politiques gallois se sont d’ailleurs inspirés du Québec, et la législation linguistique du pays de Galles suit un modèle semblable à celui du Québec : les panneaux des autorités locales doivent être rédigés en gallois, et les panneaux bilingues doivent placer le gallois en premier, créant ainsi une hiérarchie. L’enseignement de la langue aux adultes est encouragé et les grandes entreprises sont tenues d’élaborer un plan relatif à la langue galloise afin de garantir la disponibilité des services en gallois.

Existe-t-il des différences majeures entre le Québec et le pays de Galles?

L’une des principales différences entre le Québec et le pays de Galles est la manière dont ils abordent la langue au regard de l’immigration. Conscient d’être un pays fondé sur l’immigration, le Québec a mis en place des processus clairs pour les nouveaux arrivants et veille à ce que ceux-ci s’intègrent dans le système français. En revanche, la langue galloise n’est pas intégrée de la même manière dans les politiques d’immigration.

Il est possible de survivre entièrement en anglais au pays de Galles, mais cela est de plus en plus difficile. Par exemple, les possibilités d’emploi dans la fonction publique sont meilleures si vous parlez gallois. Si vous avez des enfants dans le système d’éducation, vous devrez également composer avec la langue en raison des politiques qui exigent que le gallois soit enseigné dans les écoles.

Cette situation conduit-elle à une revitalisation de la langue galloise chez les jeunes générations?

C’est ce qui ressort des données. Les classements par âge et les recensements récents montrent que les générations à l’école affichent de meilleures compétences en gallois que les générations plus âgées. Toutefois, cette proportion peut diminuer une fois que les gens quittent l’école et sont moins exposés à la langue.

Avez-vous souvenir d’une interaction humaine mémorable dans le cadre de vos recherches sur l’identité linguistique?

Un souvenir qui me reste en mémoire n’est pas lié à mes recherches sur l’identité linguistique, mais mérite tout de même d’être mentionné. Lorsque j’ai déménagé en Allemagne il y a 15 ans, il s’agissait d’un nouvel environnement pour moi et je me suis d’abord senti très mal à l’aise de parler l’allemand standard en contexte informel. Ayant grandi en Suisse, j’utilisais le suisse allemand pour la communication informelle, tandis que l’allemand standard (ou haut-allemand) était réservé à la lecture, à l’écriture, à l’actualité et surtout à la religion – le domaine le plus formel. Je me souviens du moment où cela m’a frappé : j’observais des enfants de 12 ans dans le tramway qui parlaient le haut-allemand comme si c’était la chose la plus naturelle au monde (ce qui était le cas pour eux, bien sûr). Il m’a fallu un certain temps pour m’adapter.

Aujourd’hui, mes propres enfants ont grandi en Allemagne et sont de langue maternelle allemande. Avec le temps, j'ai fini par m'y faire et mon identité linguistique a changé. J’utilise désormais l’allemand standard à des fins informelles.
 

Retour en haut de page

© Université Concordia