Chercheur principal, projet de géodonnées, Services communautaires de langue anglaise Jeffery Hale (SCLA-JH)
mars 2023
Qu’est-ce qui vous a amené au Québec?
En 1972, j’ai dirigé une expédition géographique rattachée à l’Université York, à Toronto. Nous cartographions la condition humaine dans des quartiers défavorisés en analysant les problèmes et le milieu où on les rencontrait. Pendant une tournée de conférences dans différentes universités, l’Université Laval m’a invité à participer à une expédition d’analyse des problèmes humains à Québec, voire à la mettre sur pied. Après la tournée, j’y suis retourné poursuivre ma maîtrise, et j’ai commencé à m’intéresser à la culture québécoise, très différente de la culture anglophone du Sud de l’Ontario, où j’ai grandi.
Comment avez-vous commencé à travailler avec la communauté anglophone?
J’ai enseigné la géographie au cégep Champlain – St. Lawrence à Québec et je faisais de l’analyse statistique avec les étudiants. Nous avons cartographié le paysage linguistique en utilisant les données du recensement pour déterminer le nombre d’anglophones au Québec, ce que personne n’avait jamais vraiment fait. En 1983, j’ai réalisé un projet d’été sur la perception des anglophones dans la région de Québec, après quoi j’ai commencé à travailler avec les commissions scolaires et les groupes communautaires anglophones locaux.
L’un de mes premiers projets consistait à aider les commissions scolaires à définir leurs territoires respectifs en déterminant où vivait la population anglophone, car elles devaient justifier leur existence et comprendre comment se structurer dans la région de Québec.
Vous vous spécialisez dans l’« analyse spatiale ». Comment expliqueriez-vous ce domaine à des néophytes?
C’est comme utiliser un microscope, mais au lieu d’examiner des chromosomes, j’observe des populations humaines et la façon dont elles interagissent avec leur environnement. Parfois, ce qu’il faut connaître pour comprendre une population n’est pas visible au premier regard. Nous devons donc prendre du recul pour examiner à la fois l’ensemble et ses différentes composantes. J’utilise la photographie infrarouge, des images satellites, des levés et d’autres outils pour situer des objets et des caractéristiques dans l’espace. En analysant l’emplacement, la proximité et la similitude de différents facteurs, je peux créer des profils distincts de lieux ou de communautés.
C’est ce qu’on appelle la « géodémographie ». C’est l’approche que j’utilise actuellement dans le cadre d'un projet pour Santé Canada, où je crée des profils de la communauté anglophone dans les nombreuses régions du Québec.
Pourquoi ce type de données est-il important?
Ces données nous permettent d’étudier la situation des personnes dans des endroits précis, de définir leur réalité en nous appuyant sur des faits, en éliminant le plus possible les préjugés. Prenons par exemple l’accès aux soins de santé : si nous pouvons démontrer qu’il existe une demande de services précis dans une région donnée, cela devient un argument pour justifier les demandes de financement. Sur le plan des politiques, c’est important. Après tout, comment pouvons-nous changer les choses si nous ignorons où elles en sont?
La représentation de données complexes sous une forme visuelle qui peut être facilement diffusée en ligne permet également de simplifier et de communiquer aux décideurs et aux populations majoritaires les enjeux des communautés vulnérables.
Qu’avez-vous découvert au sujet de la communauté anglophone de Québec?
En comparant l’utilisation des services de santé par les anglophones de la région de Québec en 2019 et 2020, nous avons constaté une augmentation considérable du nombre de services utilisés pendant la pandémie, tous âges confondus, mais pas du nombre réel d’utilisateurs. La pression accrue exercée par la pandémie sur le système de santé dans la région de Québec a fait que la population anglophone s’est retrouvée doublement isolée. D’abord en raison de la barrière linguistique, mais aussi à cause du manque de personnel en mesure de fournir des services de santé, y compris des soins à domicile. Nous n’avions pas réalisé l’ampleur de ces besoins cachés avant d’analyser les données.
Comment ce type de données peut-il contribuer à l’élaboration de politiques?
Grâce à la visualisation des données, les décideurs peuvent cibler rapidement les domaines qui nécessitent une attention particulière de même que les besoins connexes non satisfaits, et prendre ainsi des décisions plus éclairées. Ce n’est pas facile d’obtenir des ressources pour les gens, mais la cartographie aide à déterminer les populations qui en ont le plus besoin. Nous devons savoir que le problème existe pour pouvoir y remédier par des politiques et des programmes.
Qu’est-ce qui vous a surpris dans vos recherches?
Très souvent, les solutions sont à portée de main, mais les gens doivent se voir collectivement et penser aux organismes qui fournissent les solutions. Prenons l’exemple des commissions scolaires pour lesquelles j’ai aidé à définir les populations d’élèves. Il y avait une animosité croissante entre les commissions scolaires catholiques et protestantes au moment de définir leurs territoires respectifs, et d’autres groupes d’intérêt exacerbaient les tensions. La cartographie des endroits où vivaient les élèves potentiels a facilité la résolution du conflit en mettant en évidence des zones et des clientèles distinctes.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment?
Je croise les résultats du recensement avec d’autres données pour comparer la situation des utilisateurs des services de santé anglophones et francophones. Nous pensons que cela nous permettra de comprendre beaucoup mieux ces deux communautés linguistiques