Titulaire de la chaire Johnson en études canado-irlandaises au Québec et professeure agrégée d’études de la diaspora à l’École des études irlandaises
novembre 2022
En septembre 2022, vous avez lancé un balado intitulé The Irish in Canada Podcast (« balado sur les Irlandais au Canada »). Pourriez-vous nous parler de ce projet?
Lorsque j’ai été nommée titulaire de la chaire Johnson en études canado-irlandaises au Québec, l’une de mes responsabilités était de diffuser la recherche auprès de la communauté. J’ai pensé qu’un balado intéresserait à la fois mes étudiants et le grand public, en donnant vie à l’histoire. Le contenu s’inspire en grande partie de mon cours, The Irish in Canada, dans lequel nombre d’étudiantes et étudiants n’avaient jamais entendu parler de ce pan de l’histoire canadienne ou, s’ils connaissaient l’histoire de l’Irlande, ignoraient l’élément canado-irlandais.
Le balado est donc un moyen de mobiliser de connaisance?
En effet, et de manière efficace. Pour les historiens, les balados se sont avérés un moyen extraordinaire de promouvoir leurs travaux bien au-delà de la discipline. Elles ne cessent de gagner en popularité et constituent un excellent moyen de faire connaître au grand public nos recherches, plutôt que de les voir confinées aux publications universitaires.
Vous utilisez dans vos travaux le terme « migration genrée ». Pourriez-vous expliquer ce qu’il signifie, notamment dans le contexte canado-irlandais?
Il s’agit d’examiner l’histoire de la migration et la manière dont cette expérience est vécue différemment par les hommes et les femmes, particulièrement au 19e siècle, lorsque les femmes ont commencé à quitter l’Irlande en plus grand nombre pour la première fois. Leur sexe dictait la façon dont elles étaient traitées, dont elles étaient censées se comporter et dont on les percevait. Les Irlandaises n’avaient même pas le droit d’immigrer à Terre-Neuve au 18e siècle, car on les croyait trop immorales sur le plan de la sexualité.
C’est sans parler du traitement des mères immigrantes irlandaises, notamment au sein du système médical. En étudiant les asiles, on trouve des femmes internées uniquement parce qu’elles étaient enceintes ou qu’elles avaient subi des complications à l’accouchement, tandis qu’aujourd’hui elles seraient probablement traitées dans un hôpital. Les femmes qui arrivaient à Grosse-Île étaient envoyées directement à l’asile d’aliénés non loin de Québec. Elles ne suivaient donc pas le cheminement classique consistant à remonter le Saint-Laurent, à se rendre jusqu’à Montréal et au-delà. On ignore souvent même leurs noms – elles ont simplement disparu de l’histoire.
En 1867, le Québec - et le reste du Canada - comptait un fort pourcentage de personnes nées en Irlande au sein de sa population. Quels effets historiques et durables cette situation a-t-elle eus sur la province?
Officiellement, au moins un tiers de la population québécoise d’aujourd’hui est d’ascendance irlandaise, quoique cette proportion friserait les 40 % selon certaines analyses. Beaucoup de Québécois l’ignorent d’ailleurs, puisque c’était souvent les Irlandaises qui épousaient des Canadiens-Français. Montréal et Québec possèdent encore des communautés irlandaises de longue date des plus dynamiques et actives. À Montréal, la St. Patrick Society, qui existe depuis près de 200 ans, montre à quel point les gens ont à cœur de s’investir afin de préserver ces liens avec l’Irlande.
Un autre exemple est Thomas D’Arcy McGee, député de Montréal-Ouest considéré comme le père irlandais de la Confédération. Il a en effet garanti les droits des minorités en matière d’éducation au cours des délibérations entourant la Confédération pour faire en sorte que les catholiques aient accès aux écoles des minorités dans un Canada anglais largement protestant. Aujourd’hui, ces mêmes droits expliquent l’existence de la Commission scolaire English-Montréal, par exemple.
Selon vous, quelle place occupe la langue dans l’identité de la communauté irlandaise du Québec?
La langue irlandaise fait partie intégrante de cette identité, et se développe d’ailleurs au Québec. Des groupes communautaires l’enseignent, tout comme un professeur à Concordia, et nous considérons en fait l’École des études irlandaises comme étant trilingue, soit francophone, anglophone et irlandophone.
La question de l’anglais est souvent très personnelle. Beaucoup de personnes d’ascendance irlandaise ont été adoptées par une famille canadienne-française ou ont épousé une personne canadienne-française, et leurs descendants peuvent porter un nom très irlandais, mais être francophones. Il peut également s’agir d’une langue fonctionnelle pour certains organismes communautaires, comme Irish Heritage Quebec, à Québec. La plupart des membres de cette organisation parfaitement bilingue vivent en effet en français au quotidien, mais les réunions du groupe se déroulent en anglais, sans que cela suscite de conflit.
Il existait de petites communautés irlandaises à travers la province, et le degré de préservation de la langue, d’évolution du bilinguisme ou de francisation varie beaucoup.
Travaillez-vous sur d’autres projets?
Je travaille à écrire la deuxième saison du balado, dont le lancement est prévu pour le début du mois de mars. Je termine également quelques-uns des premiers articles de mon projet Gender Migration and Madness (« migration genrée et folie »), et j’ai reçu une subvention fédérale de quatre ans pour étudier le traitement des Irlandaises et d’autres immigrantes au sein du système médical colonial québécois, en particulier durant l’épidémie de choléra des années 1800. Il s’agit d’une histoire fascinante, mais problématique, qui contredit certainement l’image qu’on se fait du 19e siècle comme une époque rébarbative et ennuyante.