Professeur de psychologie, Université McGill
novembre 2023
Vous dirigez le Laboratoire de motivation humaine (Human Motivation Lab) de l’Université McGill. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Nous étudions comment l’environnement socioculturel des individus détermine les objectifs qu’ils choisissent de poursuivre et comment ils se motivent pour atteindre ces objectifs. Le laboratoire de recherche fonctionne grâce à une équipe composée de chercheuses et chercheurs postdoctoraux, de doctorantes et doctorants ainsi que d’étudiantes et étudiants du premier cycle. Depuis la pandémie, nous avons élargi notre champ d’action pour nous concentrer également sur la recherche communautaire, en plus de la recherche fondamentale en psychologie.
Qu’entendez-vous par « motivation humaine »?
Quand je suis arrivé à l’Université McGill en 1988, il y avait déjà un cours sur la motivation, mais il portait sur la motivation des organismes de base – comme les anguilles. Je voulais donner un cours qui se distingue de celui-ci, alors je l’ai appelé « Motivation humaine ». J’avais auparavant étudié avec Edward Deci, pionnier en matière de psychologie de la motivation et créateur de la « théorie de l’autodétermination »; selon celle-ci, la croissance, le développement et le bien-être des gens dépendent du degré de satisfaction concernant trois besoins psychologiques fondamentaux : l’autonomie (se sentir important et être confiant de ses actions et ses objectifs visés), le lien social (se sentir lié aux autres) et la compétence (se sentir capable de bien accomplir des tâches).
Bien que j’aborde toujours mes recherches sur le plan individuel, ces trois besoins fonctionnent également au niveau des groupes communautaires. Il est important de sentir que les groupes qui nous tiennent à cœur voient leurs besoins satisfaits.
Comment en êtes-vous venu à travailler avec les communautés québécoises d’expression anglaise?
Grâce à mon travail avec le Black Community Resource Centre (BCRC), qui se concentre sur les jeunes anglophones des minorités visibles, j’ai pu commencer à travailler avec les communautés d’expression anglaise.
Au début de la pandémie, j’ai décidé d’accepter toutes les invitations que je recevrais. Comme j’étudie le bien-être et la motivation, j’ai tout de suite reçu des demandes pourété sollicité pour donner des conférences. L’une d’entre elles venait d’un ancien étudiant travaillant au BCRC. Ce qui m’a étonné durant la pandémie, c’est de savoir que les communautés noires souffraient le plus de la situation, et ce, pour diverses raisons systémiques. J’ai donc décidé d’offrir mon aide pourd’aider à organiser un atelier et de travailler en étroite collaboration avec le BCRC pour lancer une vaste enquête visant à évaluer la résilience de la communauté noire.
Au départ, nous avions seulement l’intention d’évaluer l’impact de la pandémie sur la motivation et le bien-être des jeunes adultes noirs. Trois semaines plus tard, George Floyd était fut assassiné; nous nous sommes retrouvés non seulement dans la pire crise sanitaire du siècle, mais aussi dans le plus important mouvement de défense des droits civiques que les États-Unis aient connu depuis ces 50 dernières années. Mener une enquête uniquement sur la pandémie ne rimait plus à rien.
C’est pourquoi nous avons d’abord mesuré l’impact sur les jeunes adultes de la communauté anglophone par rapport à ceux des populations francophones, puis nous avons élargi notre étude pour inclure les adultes d’âge mûr du Québec par rapport à ceux de l’Ontario et des autres provinces. Nous avons constaté que la communauté noire anglophone du Québec semblait éprouver plus de difficultés en tanten raison de sa que double minorité à la fois – raciale et linguistique –, avec les effets et des effets intersectionnels qui en découlent. Nous explorons cette question depuis 2020, mais nous avons également décidé d’examiner la communauté anglophone dans son ensemble.
Pourriez-vous en dire plus sur la façon dont vous allez étudier la communauté anglophone élargie?
Nous avons élaboré un sondage destiné aux membres des communautés anglophones et francophones, qui s’inscrit dans le contexte des nouvelles lois linguistiques telles que le projet de loi 96. Pour les participants anglophones, l’objectif est de comprendre comment ils se sentent personnellement sur le plan de l’autonomie, du lien social et de la compétence, et comment ils se sentent collectivement par rapport à ces besoins. Du côté francophone, notre objectif est de comprendre si les participants reconnaissent la situation et s’ils l’approuvent. Nous cherchons aussi à comprendre les raisons de leur approbation et à savoir si quelque chose pourrait la changer.
Selon vous, en quoi comprendre la motivation humaine peut-elle contribuer à apporter des changements sociétaux touchant le Québec anglophone?
Prenons par exemple l’impact de certaines lois linguistiques sur la motivation à apprendre et à s’exercer à parler le français. Nos recherches ont montré que la minorité anglophone, quel que soit son héritage culturel, a l’impression que son sens de l’autonomie est limité par les récentes lois sur les langues. Les recherches basées sur la théorie de l’autodétermination indiquent que les exigences imposées à une population détruisent la motivation intrinsèque, ainsi que tout sens et toute valeur associés à la volonté de s’intégrer dans une société plus large.
Par conséquent, bien que le gouvernement propose des cours aux anglophones pour favoriser la maîtrise du français, la motivation des gens à les suivre est affectée par la perception qu’ils ne le font pas de leur plein gré.
Qu’est-ce qui vous a frappé dans vos recherches sur les communautés québécoises d’expression anglaise?
Ce qui m’a surtout marqué, c’est que lorsqu’on fait partie d’une communauté minoritaire, en particulier une communauté ciblée, les expériences personnelles deviennent secondaires par rapport à ce qu’on voit arriver à son que vit son groupe. Le fait de s’apparenter davantage à la population majoritaire n’empêche pas de voir sa motivation et son bien-être affectés par la façon dont est traitée sa communauté est traitée. C’est un véritable sentiment de « quand ils souffrent, je souffre ».
Avez-vous observé des actions utiles pour les personnes qui se sentent touchées de la sorte?
Comme je mène davantage de recherches axées sur la communauté, je sens que mes actions sont susceptibles d’avoir un impact sur la situation sociopolitique élargie du Québec, et ce sentiment d’agentivité m’aide. J’ai par ailleurs rencontré au BCRC de nombreuses personnes avec lesquelles j’ai aimé travailler et qui m’ont aidé à réfléchir à la situation actuelle de manière plus complexe. Parler et collaborer avec d’autres personnes est un excellent moyen de garder l’espoir et la motivation.